Pour une politique de sagesse

Je suis de ceux qui croient qu'il y a une transition à faire entre la vieillesse d'aujourd'hui et celle de demain et que la consultation sur les conditions de vie des aînés visait à nous montrer le chemin pour effectuer ce passage.

J'ai entendu beaucoup de personnes dire: «Encore une consultation publique!» et s'en plaindre. Quant à moi, j'espère que ce ne sera pas la dernière. Les bouleversements à enclencher sont trop nombreux et trop complexes pour que nous puissions en disposer en une seule fois. Les aînés constituent l'infrastructure de notre société. À l'instar des routes et des viaducs, ils ont été passablement négligés au cours des dernières décennies. Le Québec est mûr pour un «chantier» des aînés, un chantier social avec une stratégie à long terme pour modeler de façon claire la société qu'on veut pour les prochaines années, une société qui intègre les personnes aînées, une société plus sage et solidaire. Les aînés sont une ressource naturelle inestimable; il importe d'en assurer le développement durable.

Il faut que le concept de la retraite change complètement. L'âge de la retraite a été fixé à 65 ans par Bismarck au XIXe siècle, au moment où l'espérance de vie était de 62 ans. Ce seuil est maintenant anachronique et fait en sorte qu'on vit maintenant en moyenne près de 20 ans après avoir atteint l'âge de 65 ans. La retraite doit être réinventée afin que cette transition se passe de manière beaucoup plus progressive. Avec le taux de chômage actuel, on a besoin de tous les gens qui veulent travailler. On doit créer une organisation du travail plus humaine, basée sur les besoins des individus. Je crois qu'on peut y arriver!

Pour que les personnes aînées aient des conditions de vie adéquates, il faut pouvoir leur assurer un revenu raisonnable. Le revenu conditionne l'accès à un logement décent, favorise la participation sociale et détermine la santé, notamment grâce à une alimentation adéquate et l'accès aux médicaments nécessaires. On doit éliminer la pauvreté des femmes âgées en instaurant un supplément de revenu garanti provincial.

Le vieillissement de la population entraîne un changement radical dans l'importance relative des maladies. D'une prépondérance de maladies aiguës au siècle dernier, nous passons maintenant à une ère où les maladies chroniques deviennent beaucoup plus fréquentes. Le système de santé hospitalocentrique développé aux XIXe et XXe siècles pour faire face aux maladies aiguës, surtout infectieuses, s'avère inapproprié pour répondre aux besoins des malades chroniques nécessitant des soins continus et à long terme. Le système de santé doit donc être recentré autour du lieu de résidence des personnes, soit le milieu où ils habitent.

De plus, les soins et les services que requièrent les malades souffrant de problèmes chroniques vont bien au-delà des soins médicaux, qui prennent une place plus marginale. Ce sont les incapacités découlant de ces maladies qui conditionnent le recours aux soins et aux services. L'objectif consiste ainsi à optimiser l'autonomie des individus en minimisant les incapacités et en fournissant le soutien nécessaire pour les pallier.

Or le système actuel est loin d'avoir complété ce recentrage. L'accès aux services et leur coordination sont déficients. Il faut rapidement généraliser les expériences probantes de coordination des services et de réseaux intégrés pour les personnes en perte d'autonomie. Les soins à domicile sont nettement insuffisants tandis que les proches aidants qui devraient constituer les partenaires indispensables du réseau sont plutôt laissés à eux-mêmes sans soutien ni répit. L'insuffisance du soutien à domicile ne laisse aux aînés et à leurs proches qu'un seul choix: l'hébergement en soins de longue durée. Cette solution coûteuse et non souhaitée entraîne son lot de problèmes: dépersonnalisation et exiguïté des lieux, rupture du réseau social, transmission des infections, séparation des couples, difficultés à reproduire un milieu de vie.

Prestation de soutien à l'autonomie

Il est donc urgent de modifier l'approche en fournissant les services là où la personne se trouve, et ce, sans égard au milieu de vie. Au lieu de demander aux personnes d'aller là où les services se trouvent, les services doivent être donnés là où les personnes habitent. Une telle approche implique un investissement considérable dans le soutien à l'autonomie des personnes et l'établissement d'une prestation en nature ou en espèces basée sur les besoins des personnes et non sur le milieu de vie où elles habitent. Nous proposons de créer une prestation de soutien à l'autonomie (PSA) qui permettrait d'effectuer ce changement nécessaire.

Une telle prestation pourrait être en nature lorsque les services sont fournis par le réseau public (CLSC, centres d'hébergement) ou en espèces pour que la personne puisse acheter des services au privé, aux entreprises d'économie sociale ou aux organismes communautaires ou pour qu'elle puisse dédommager un proche aidant. Cette prestation permettrait ainsi de remplacer efficacement et avantageusement un certain nombre de mesures fiscales et financières parcellaires, inéquitables et insuffisantes. Elle donnerait aux aînés un véritable choix quant aux services qu'ils souhaitent sans introduire d'incitatifs indus à utiliser l'hébergement en CHSLD. Elle permettrait aussi d'ajuster les services lors de la perte d'autonomie sans changement de milieu de vie. Elle reconnaîtrait enfin la contribution des proches aidants qui choisissent de prodiguer aide et soutien à leur proche en perte d'autonomie.

Notre système de santé public et universel est le meilleur outil pour faire face au vieillissement attendu de la population. Il permet d'ajuster plus facilement l'offre de services aux besoins des personnes âgées victimes de maladies chroniques par l'intégration des services, de la première ligne aux soins spécialisés. Il permet également de mieux faire face aux pénuries actuelles et anticipées de personnel et de professionnels. Il faut cependant y investir davantage pour résoudre les problèmes d'accès et de qualité.

Les instituts et services de gériatrie du Québec ont développé des approches avant-gardistes spécifiques pour les personnes âgées. Il faut maintenant que ces approches rayonnent à l'ensemble du réseau de la santé et des services sociaux pour mieux adapter les hôpitaux, les centres d'hébergement et les services à domicile aux besoins et aux particularités des aînés. L'approche gérontologique doit faire partie intégrante des façons de faire et des attitudes de tous les intervenants.

L'amélioration de la qualité des services aux aînés passe nécessairement par une formation adéquate des intervenants et des gestionnaires aux particularités de l'approche aux personnes âgées. Une formation de base solide en gérontologie devrait être un préalable à l'emploi dans ce secteur. Des efforts doivent être faits pour inciter la formation continue du personnel et la valorisation du travail auprès des aînés.

La nécessité d'une politique

Après la tenue de la consultation, je suis encore plus convaincu qu'il est nécessaire de nous doter d'une politique gouvernementale sur les personnes aînées afin que tous les gestes à faire soient clairement inscrits. Cette politique de sagesse permettra de faire en sorte que soient retenues des mesures visant à favoriser la vie de la personne dans son environnement sur le plan du logement, de l'habitat, de la santé, de la mobilité et du cadre de vie. Elle visera aussi à mieux contrôler les risques d'exclusion des personnes aînées, à mieux concerter les villes, les associations, les organismes, les établissements et les entreprises et à faire partager à tous la même vision rassembleuse.

Une politique de sagesse donnerait une voix aux aînés pour définir la société québécoise de demain. Cette génération disposerait ainsi d'une voix qui, pour contrer les effets pervers de l'industrialisation du siècle dernier, a adopté des valeurs humanistes et de solidarité pour se doter d'institutions et de programmes dont nous, les générations plus jeunes, avons largement bénéficié. Un siècle plus tard, la technologie remplace l'industrie et les aînés peuvent nous aider à éviter de retomber encore une fois dans les mêmes pièges pour continuer à bâtir un Québec humain, juste et solidaire. Un Québec qui, tout en relevant les défis de la modernité, saura préserver l'humanisme et la solidarité qui le distinguent en Amérique. Un Québec ouvert sur le monde, un Québec fait pour le monde, un Québec pour tout le monde.

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