Primaires démocrates du 4 mars en Ohio et au Texas - Pour qui sonnera le glas?

Pour Barack Obama et Hillary Clinton, tout se jouera le 4 mars, quelque part entre le Texas et l'Ohio. Le Vermont et le Rhode Island, qui se prononcent le même jour, sont à peine courtisés par les candidats. Il faut dire que les 141 délégués de l'Ohio (plus ses 20 super délégués) et les 193 délégués du Texas (auxquels il faudra ajouter 35 super délégués), constituent une véritable manne pour l'un et l'autre des aspirants à l'investiture démocrate.

Selon que Barack ou Hillary remporte l'un ou les deux États, l'on saura si l'investiture est acquise par le premier ou si elle doit attendre à l'été en raison de la résilience de la seconde. En ce début mars, le Parti démocrate se cherche encore un héraut.

Le Texas et l'Ohio au coeur de la bataille

Il est difficile de trouver deux États aux réalités aussi différentes que le Texas et l'Ohio. L'un, au bord du Golfe du Mexique, trône sur son pétrole off-shore et ses raffineries. L'autre, au confluent de la Corn Belt et de la Rust Belt, conjugue deux industries peu florissantes: l'automobile et l'agriculture.

Avec 24 millions d'habitants, le Texas fait partie des États les plus peuplés des États-Unis. Sa population ne cesse de croître, et l'on estime qu'elle devrait continuer à progresser au rythme de 1,5 % par année pour doubler en 2040. Les minorités y sont plus importantes que la population anglophone et blanche (50,2 %), et les hispaniques formeront la majorité de la population d'ici 2020. Le taux de chômage se situe autour de 4,5 % tandis que la recherche dans des secteurs de pointe, comme les biotechs, l'aérospatiale ou l'électronique, permet près de 13 000 dépôts de brevets par an. Son produit national brut se monte à plus de 1096 milliards de dollars, ce qui placerait un Texas indépendant — et il l'a déjà été — au 8e rang des puissances mondiales. Au cours des sept derniers jours, la tendance qui était en faveur d'Hillary Clinton s'y est inversée: c'est désormais, selon des données compilées par le USA Today, Barack Obama qui mène à 48 % contre 44.

À l'inverse, sur les bords du lac Érié, l'Ohio est un État coincé entre le MidWest et le Nord-Est. Il est peuplé de 11 millions d'habitants et la pauvreté est présente dans 13 % de la population. Le taux de chômage est d'un point supérieur à celui du reste des États-Unis (5,5 % en janvier 2008 — corrigé des variations saisonnières). C'est un État blanc (86 %), où la minorité la plus importante est noire (12,5 %). Son PNB se monte à 461 milliards de dollars, soit moins de la moitié du Texas. Hillary Clinton y est favorite selon les sondages recensés par USA Today à 48 % contre 43.

Les imbroglios de la campagne

Non seulement ces deux États envoient un grand nombre de délégués à la convention nationale, mais ils s'illustrent également par la particularité de leur système de votation.

Le Texas obtient sans doute la palme d'or dans ce domaine. Il est vrai que cet État, seule véritable république indépendante avant de se joindre aux États-Unis, a un système de droit particulier, qui se reflète dans son processus de votation. Ainsi, une partie des délégués (126 District Level delegates) est élue dans le cadre des primaires. Ils sont répartis entre 31 districts au prorata du nombre de scrutins recueillis par les candidats démocrates lors des deux cycles d'élections antérieurs (la présidentielle de 2004 et l'élection du gouverneur en 2006). Les délégués restants (42 délégués at-large et 25 délégués PLEO) seront désignés dans le cadre d'une convention nationale en juin prochain, après que se seront tenus des caucus au niveau des bureaux de vote, des districts et des comtés. À cela il faudra ajouter 35 super délégués (donc 32 sont des élus et 3 sont nommés). Les caucus se déroulent en soirée, après que les primaires se sont achevées. Les électeurs qui ont voté lors des primaires ont alors le droit de se prononcer dans le cadre des caucus. Parce que le découpage des districts et la répartition des délégués selon la formule qui valorise le taux de participation des démocrates aux élections antérieures surreprésentent les zones urbaines et noires, l'organisation d'Hillary Clinton envisagerait d'ailleurs de former un recours contre le parti arguant du fait que ce système favoriserait indûment son adversaire.

En Ohio, 141 délégués seront élus, dont 92 délégués de districts, 18 PLEO, 31 at-large, et on enverra à la convention nationale 20 super délégués (10 sont membres de l'establishment du parti — le DNC —, 7 sont membres du Congrès, 1 gouverneur, et 2 nommés). L'Ohio s'illustre, lors de chaque cycle de vote, par ses scandales: files d'attente aux bureaux de scrutin, éviction d'électeurs, purges des listes électorales, intimidations, bulletins égarés ou en nombre insuffisant pour l'afflux d'électeurs... Autant dire que toute l'organisation des bureaux de vote est sur des charbons ardents. D'autant que la secrétaire d'État de l'Ohio a intimé au comté de Cuyahoga (le plus peuplé et souvent le plus cité en raison de ses dysfonctionnements), où se situe la ville de Cleveland et au comté de Franklin (qui n'avait pas assez de machines de vote en 2004) de résoudre leurs problèmes. L'administration électorale de Cuyahoga a donc dû remplacer son procédé de vote par écran tactile par un système de bulletins optiques. La secrétaire Brunner s'est également prononcée pour une centralisation du système de décompte des bulletins, ce qui suppose de les transporter au bureau central. Et ce n'est pas chose aisée puisqu'en 2006, lors d'une primaire, 14 % des bulletins avaient ainsi été égarés.

Et revoilà les super délégués

Si ni l'Ohio ni le Texas ne parviennent à trancher, soit qu'Hillary revienne en force ou qu'elle remporte au moins un des deux États, ce sont les 795 bulletins des 799 super délégués (si l'on n'inclut pas ceux du Michigan et de la Floride et si l'on tient compte du fait que les super délégués de l'étranger n'ont chacun qu'un demi-vote) qui trancheront. Ils sont membres du comité national du Parti démocrate, gouverneurs, élus, membres démocrates du Congrès, ancien président et vice-président (Bill Clinton, Jimmy Carter, Al Gore...). Votant de droit à la convention nationale de l'été prochain, ils représentent jusqu'à 40 % du nombre de délégués nécessaires pour emporter l'investiture du Parti démocrate. Quatre cent trente-sept d'entre eux ont annoncé leur préférence, et ici Hillary Clinton est en avance. Mais ils peuvent à tout moment changer d'idée et ne sont pas liés par leur engagement initial. Du coup, les estimations divergent, et c'est ce qui rend les décomptes parfois contradictoires.

On s'attend, en raison de résultats serrés au cycle de primaires et de caucus, à ce que ces super délégués fassent la différence lors de la convention nationale du Parti démocrate en août prochain.

Des « sages » pour un Parti démocrate en mal d'unité

Ils ont — à l'instar d'ailleurs des chambres hautes dans les démocraties unitaires — pour rôle d'insuffler un peu de sagesse au processus de désignation, et de stabilité au Parti démocrate. Avant 1972 en effet, le pouvoir appartenait à l'establishment du parti: c'est par exemple Charlie Buckley, cacique du Bronx et pilier de l'establishment démocrate, qui a manigancé et littéralement fait, avec Joe Kennedy, la nomination de J. F. Kennedy en 1960. Les années 1970 marquent cependant un glissement vers la gauche qui impose au parti de repenser ses règles pour se faire plus inclusif, notamment au profit de sa base et des minorités. Mais lorsque le sénateur McGovern, résolument opposé au Vietnam et soutenu par les franges minoritaires du Parti démocrate, remporte l'investiture démocrate en 1972 pour s'effondrer à l'élection générale en n'obtenant qu'un État et le District de Columbia, le traumatisme est réel. Les difficultés de Jimmy Carter à obtenir de nouveau l'investiture de son parti, en raison notamment de l'activisme des partisans de Ted Kennedy, en 1980 en ajoutent: se sentant trahis, une partie des démocrates délaisse avec amertume la campagne électorale qui est émaillée de querelles internes. L'establishment du Parti démocrate décide alors de se doter de moyens pour pondérer les extrêmes et unifier le parti, et ce, afin de se donner les moyens de remporter de nouveau la Maison-Blanche. La commission Hunt, mise en place en 1982, propose donc de créer des super délégués, ce que certains appellent un «conseil de sages», et élabore ainsi ce système complexe de primaires où se mêlent — et s'emmêlent parfois — suffrage semi direct et indirect. Ils doivent incarner les valeurs traditionnelles du parti. Le système porte ses fruits puisque les super délégués permettent à Walter Mondale de bénéficier très vite d'une majorité confortable qui évite au Parti démocrate de se déchirer durant sa convention nationale de l'été 1984.

Les super délégués devraient donc prendre une décision en principe au-dessus des considérations bassement politiciennes, mais ils auront tout de même des comptes à rendre, plus tard, à leur électorat: autant dire que leurs adversaires ne manqueront pas de les clouer au pilori si d'aventure ils contrevenaient véritablement aux résultats des primaires. C'est pour cela qu'ils ne joueront pas aux apprentis sorciers. Ils appuieront celui des candidats qui aura le soutien des délégués et du vote. Mais en cas de résultats trop serrés, ils auront plus de latitude pour trancher et éviter ainsi au Parti démocrate de s'entre-déchirer en août prochain... et, ce faisant, de servir la Maison-Blanche sur un plateau d'argent aux républicains.

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