Les incohérences du système d'éducation - La démission d'un enseignant

Le 27 août 2007, après onze années d'enseignement au secondaire, j'ai décidé de remettre ma démission. Ce fut une surprise pour la majorité de mes collègues, et probablement une déception pour nombre d'élèves et de parents qui me connaissent. Pourquoi cette décision? Pourquoi un enseignant expérimenté et dans la force de l'âge quitte-t-il cette profession? Des explications s'imposent, et je me permets de transmettre ce texte à votre journal parce qu'il traite d'enjeux qui concernent l'ensemble de la société québécoise.

La raison de ma démission comme enseignant découle d'une situation bien particulière qui trouve régulièrement des échos sur la place publique. Au cours des dernières années, de nombreux articles ont été publiés sur la formation des maîtres et la pénurie d'enseignants au secondaire. Dans la majorité des cas, les articles font état d'une situation alarmante: journalistes, délégués syndicaux, représentants des commissions scolaires et agents de communication pour le ministère de l'Éducation s'inquiètent de cette situation, mais surtout du nombre croissant d'enseignants non légalement qualifiés qui bénéficient d'une «tolérance d'engagement».

Dans La Presse du 21 juin 2007, on pouvait même lire les propos suivants: «La pénurie d'enseignants est si grande que les écoles doivent engager de plus en plus de gens sans formation. La situation nous préoccupe... La qualité des cours offerts par les enseignants sans permis peut être mise en doute... Comment expliquer que des personnes «incompétentes» enseignent aux jeunes Québécois?»

Mais tous les enseignants bénéficiant d'une «tolérance» sont-ils vraiment incompétents? Pendant plus de dix années, j'ai enseigné au secondaire grâce à ce dispositif. J'avais d'abord été engagé comme enseignant en latin, étant donné la rareté de personnel ainsi que le grand besoin de spécialisation pour une telle matière. On m'avait sollicité parce que j'étais détenteur d'un baccalauréat ainsi que d'une maîtrise en histoire avec spécialisation en études anciennes (latin, grec ancien, histoire, archéologie, mythologie, littérature gréco-romaines). Mais j'avais aussi une grande expérience auprès des jeunes, ayant travaillé durant plusieurs années dans des camps d'été.

Si je me fie aux nombreux témoignages d'élèves et de parents, je me suis ensuite démarqué par la qualité et le dynamisme de mon enseignement, mais aussi par la création d'un matériel pédagogique novateur. Ces compétences furent d'ailleurs reconnues par la direction des établissements où j'ai travaillé, puisque qu'on m'y a confié les rôles de tuteur et d'animateur de niveau, ce qui m'a conduit à toucher à nombre d'aspects qui, dans plusieurs écoles, font partie des attributions des directeurs adjoints: analyse des bulletins, suivi d'élèves en difficultés, animation de réunions de professeurs, organisation d'événements spéciaux ainsi que coordination des projets multidisciplinaires. De plus, mon implication dans mon milieu de travail ne s'est pas limitée à ces tâches administratives. J'ai également participé, de façon bénévole, à la mise sur pied d'activités parascolaires, à des comités décisionnels, à la rédaction de documents de procédures internes et à l'organisation de voyages culturels en Europe.

Statut précaire

Mais aussi compétent et apprécié soit-il, un enseignant non légalement qualifié sera toujours considéré comme inférieur par les syndicats, les commissions scolaires et surtout le ministère de l'Éducation. Pour cette raison, il vit dans une perpétuelle situation de précarité. Chaque année, en juin et parfois même en août, son poste est mis à l'encan par les commissions scolaires et les syndicats. À ce moment, tout enseignant intéressé peut revendiquer son poste.

J'ai ainsi perdu un emploi lorsqu'un syndicat a exigé d'un directeur qu'il trouve une personne légalement qualifiée. La tâche d'enseigner le latin a échu à un enseignant qui avait appris cette langue durant son enfance. Le fait qu'il n'avait pas retouché à cette matière durant plus de 25 ans n'était d'aucune importance. À une autre occasion, un poste que je convoitais est revenu à un jeune diplômé en enseignement. Il n'avait jamais fait de latin, mais il s'était engagé à suivre des cours à l'université: il est devenu mon étudiant, car je suis chargé de cours en latin à l'Université de Montréal!

Cette précarité s'accroît dès qu'un événement perturbe la routine d'une école. D'après mon expérience, une fusion ou une nouvelle direction conduisent souvent à une diminution marquée de la tâche et du salaire d'un enseignant bénéficiant d'une tolérance, du moins jusqu'à ce qu'il ait à nouveau démontré ses aptitudes.

Expérience non reconnue

Dans mon cas, la précarité a atteint un sommet à la suite des modifications apportées au Règlement sur les autorisations d'enseigner (juin 2006). Au cours de l'année scolaire 2006-2007, mon employeur, la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, m'a demandé de m'inscrire à un programme de perfectionnement de courte durée offert par les universités, programme devant aboutir à un brevet en enseignement, sous peine d'être payé à la leçon et d'essuyer une diminution majeure de salaire.

J'étais bien sûr d'accord pour le faire. Cependant, à cause des nombreuses restrictions imaginées par le ministère de l'Éducation (le programme court cible surtout les enseignants venant de l'étranger), je fus informé que je n'étais pas admissible à ce programme. Une conseillère pédagogique de l'Université de Montréal — reconnaissant la valeur de mon expérience de travail — me recommanda de soumettre mon dossier directement au ministère dans l'espoir de trouver une issue à l'impasse dans laquelle je me trouvais.

La réponse fut catégorique: «L'expérience n'est pas un critère qui fait partie du Règlement sur les autorisations d'enseigner, la délivrance des permis d'enseigner est basé (sic) uniquement sur la formation universitaire en enseignement», [m'a-t-on écrit].

La seule façon d'obtenir mon brevet en enseignement serait donc de m'inscrire à un bac de quatre ans, de m'asseoir à côté de futurs enseignants qui doivent tout apprendre et de suivre plusieurs stages sous la supervision d'un autre enseignant? Je refuse cette solution, car je considère qu'il s'agirait d'une perte de temps pour moi-même et pour la société. Pourquoi nier la valeur de la formation au travail? Tout démontre que c'est l'expérience en classe qui forme vraiment et qui permet de développer ses compétences. Il me semble évident qu'avec un peu de bonne volonté, le ministère de l'Éducation aurait pu créer un mécanisme de reconnaissance des acquis ou un programme court de formation en pédagogie qui soit vraiment accessible.

Bien que la passion de l'enseignement m'anime toujours, c'est à regret que je dois renoncer à enseigner. D'une part, je m'imagine difficilement continuer à enseigner dans une société où un diplôme revêt une plus grande importance qu'une quinzaine d'années d'expérience auprès de jeunes de 7 à 17 ans. D'autre part, père d'un enfant et bientôt d'un deuxième, je ne peux continuer à vivre dans la précarité. Car tant que le Québec n'assouplira pas ses règlements, je n'aurai jamais de reconnaissance légale et je serai toujours à la merci des commissions scolaires, des syndicats, des directions ou des autres enseignants légalement qualifiés qui convoitent ma tâche sans être nécessairement plus compétents que je le suis.

Tout cela est dommage, surtout dans un contexte de pénurie d'enseignants!

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