Lettres: Respect de sa langue, respect de soi-même
Chaque francophone devrait savoir (et surtout les journalistes) que dans une fédération, dans un régime fédéral, les composantes sont des États et non pas des provinces, que cet usage constitue un énorme anglicisme, traduction littérale de «proveunce», et qu'il illustre une mentalité de conquis, de colonisés.
Voici bientôt 45 ans, le premier ministre d'alors, Jean Lesage, avait le courage d'innover en la matière, de corriger enfin cette énorme faute, de parler de «l'État» au lieu de la «province», de populariser cette appellation avec le concours du jeune Office de la langue française et la caution du ministre G. E. Lapalme. Malheureusement, quelques années plus tard, on allait retomber dans la mauvaise habitude, dans le triste anglicisme.En français, le mot «province» fait référence d'abord à une réalité géographique, à une région plus ou moins vaste, sans connotation juridique ou politique. Le terme a aussi une signification socio-culturelle, faisant référence à un héritage, à un ensemble de traditions, par exemple les provinces de l'ancienne France. Mais dans aucune fédération à travers le monde il n'est question de «provinces». Cette pratique chez nous est d'abord le fruit de l'ignorance, de la tendance à coller le plus possible à l'anglais, dans tout ce qui est politique notamment. Ceux des nôtres qui ont fait partie des «pères de la Confédération» (d'ailleurs simple fédération, autre illustration de leur ignorance et de leur inculture politique, les deux types d'institutions étant radicalement différents dans leur essence même) étaient totalement conditionnés par la pratique quotidienne de l'anglais et par le respect fétichiste de la Couronne. D'ailleurs, Georges-Étienne Cartier avouait lui-même qu'il se sentait plus à l'aise en anglais qu'en français. Pour lui et ses semblables, la traduction, lorsqu'elle s'imposait, devait être le plus près possible de l'anglais. En somme, parler anglais avec des mots apparemment français, d'autant qu'ils ignoraient totalement la notion même du «génie d'une langue».
Respect de sa langue, respect de soi-même: quand donc nos médias cesseront-ils de parler de «la province de Québec» et diront-ils enfin «l'État du Québec», ou «le Québec», tout simplement? Quand dont le gouvernement lui-même et tout l'appareil de la fonction publique donneront-ils l'exemple en la matière?
Est-il permis d'espérer un sursaut de dignité en haut lieu et un certain respect des réalités politiques et institutionnelles élémentaires, et dans le même temps le respect de sa langue? Finira-t-on par savoir à Québec (et à Ottawa) qu'une fédération est formée d'États et non pas de prétendues «provinces»?