Les cégépiens d'aujourd'hui - Une génération coincée entre la classe et les McJobs

Signe des temps: majoritairement, les cégépiens occupent un emploi pendant l'année scolaire! Ils y consacrent davantage d'heures qu'à leurs études en dehors de la classe, soit 17,3 heures par semaine pour un travail rémunéré, comparativement à 11,7 heures pour leurs travaux scolaires sur une base hebdomadaire, selon les résultats d'une enquête nationale réalisée au printemps dernier auprès de 1729 collégiens (Roy, 2006). Plus du quart des cégépiens (27 %) accordent 20 heures et plus à un emploi pendant les études. C'est appréciable!

Force est de constater que la dualité emploi-études constitue une caractéristique dominante dans l'évolution de la jeunesse au Québec. Ainsi, en 1975, 17 % des cégépiens combinaient le travail rémunéré avec les études; cette proportion a doublé en 1988 pour atteindre 34 % des étudiants au collégial. Selon les résultats de notre enquête à l'échelle du Québec, sept collégiens sur dix (72 %) sont engagés dans la conciliation travail-études. Filles comme garçons! Des tendances analogues sont également observées à la fin du secondaire et à l'université.

L'objet de cet article est de dégager les principales tendances inhérentes à ce phénomène social à la lumière de l'enquête nationale et de cerner quelques enjeux précis.

Genèse du phénomène

Le travail rémunéré pendant l'année scolaire n'est pas un ennemi des études en soi. À faible dose, il peut même, pour certains étudiants, s'avérer un facteur contribuant au développement personnel et à l'engagement dans les études. À forte dose, il compromet la trajectoire scolaire des étudiants. Mais avant d'aborder la question particulière de l'influence du travail rémunéré sur les études, abordons la genèse de certains facteurs expliquant l'explosion de ce phénomène social chez les cégépiens, en constante progression depuis deux décennies.

Différents facteurs sociaux ont concouru à la montée de ce nouveau mode de vie chez les cégépiens intégrant l'emploi et les études. Nous mentionnerons ici ceux qui nous sont apparus les plus importants. En premier lieu, à l'instar des autres groupes d'âge dans la société, la quête d'autonomie est devenue une valeur de référence; chez les étudiants, elle s'exprime par leur volonté d'être autonomes, tant sur le plan des choix de vie, d'études et de carrière que sur le plan financier. Lorsqu'on interroge les cégépiens sur les principaux motifs les conduisant à occuper un emploi pendant les études, l'autonomie personnelle et financière vient de loin en premier lieu. Suivent, dans l'ordre, l'acquisition de nouvelles compétences contribuant à leur propre développement personnel (capacité de communiquer en public, de mieux gérer son temps, de développer leur sens des responsabilités, etc.) et l'idée de s'offrir un meilleur confort en complétant leurs études. Notons cependant que 15 % de tous les cégépiens ont souligné qu'ils occupaient un emploi pour assurer leur subsistance; ces étudiants sont plus âgés, ne vivent pas avec leurs parents et ont parfois des responsabilités familiales et de couple.

En second lieu, les idéologies dominantes dans la société, liées à la consommation et au divertissement, à la productivité et à la compétence professionnelle, ont tôt fait de gagner les nouvelles générations de cégépiens. Ils sont dans «l'esprit du temps» sans en contester les fondements. Au contraire, ils y adhèrent manifestement, carburant pour plus d'un étudiant sur quatre à des semaines de près de 60 heures en incluant le temps en classe, les heures d'études et l'emploi.

Pour une minorité, cela signifie deux jobs à temps plein: une à l'école, l'autre au travail. Au mythe du cégépien paresseux se substituerait plutôt le syndrome du workaholic chez certains, selon nos résultats. Ces derniers ne sont pas sans inquiéter des intervenants du réseau collégial, qui se demandent si on n'est pas en train de sacrifier une génération de cégépiens qui, à 30 ou 40 ans, auront brûlé la chandelle par les deux bouts. Le débat est ouvert. Mais décidément, la société des loisirs n'a pas grand-chose à voir avec la réalité actuelle de la majorité des cégépiens.

Réussite scolaire et enjeux

La progression fulgurante du travail rémunéré pendant les études n'est pas sans interroger l'impact de ce phénomène sur le parcours scolaire des cégépiens. Bien que l'emploi, à raison de 10, 15 ou 20 heures par semaine, puisse pour certains se poser en obstacle aux études, c'est à compter de 25 heures sur une base hebdomadaire que les facteurs de risque à la réussite scolaire se multiplient de façon systématique quand on retient l'ensemble des cégépiens.

C'est ainsi que ces étudiants (25 heures et plus par semaine consacrées à un emploi) sont trois fois plus nombreux à cumuler des échecs scolaires; ils accordent moins de temps à leurs travaux scolaires; ils ont moins d'intérêt pour leurs études; enfin, un étudiant sur six (16 %) appartenant à ce groupe songe à abandonner son programme d'études.

Bien sûr, d'autres facteurs se greffent, composant ainsi une toile de fond défavorable à la réussite et à la persévérance scolaires. Par exemple, toujours pour ce groupe d'étudiants, le soutien parental aux études, notamment le soutien financier, est plutôt absent. De plus, leur système de valeurs les éloigne des études, accordant moins d'importance à celles-ci et davantage à d'autres valeurs, par exemple le fait de gagner rapidement de l'argent.

La question du travail rémunéré chez les cégépiens, à la faveur des tendances révélées par l'enquête nationale, nous conduit donc en conclusion à déterminer les trois enjeux suivants pour le réseau collégial. En premier lieu, il importe que les collèges offrent à leurs étudiants un lieu collectif où il fait bon être et où on fait la promotion du savoir d'une manière constance et affermie. Cette promotion du savoir apparaît capitale pour contrer certains discours ambiants dans la société qui dévalorisent le monde des connaissances et de l'éducation, quand ils ne font pas l'apologie de la bêtise et de l'ignorance. L'enquête nationale a, de fait, mis en évidence le rôle de premier plan qu'exercent les valeurs dans le parcours scolaire des cégépiens.

En second lieu, certains étudiants connaissent des difficultés scolaires en ignorant qu'ils consacrent trop d'heures à un emploi. Surtout au premier semestre! Il serait avantageux pour ces étudiants que des enseignants et d'autres intervenants du collège, à travers leurs contacts avec eux (tutorat, consultation, supervision de stages, etc.), trouvent l'occasion de faire le point avec ces étudiants pour les aider à mieux cheminer, à faire les choix nécessaires. Malgré leur moue et leurs allures d'indifférence, ils ont besoin d'adultes responsables qui pourraient leur rappeler cette évidence pas toujours entendue en milieu collégial selon laquelle la première tâche d'un étudiant, c'est d'étudier. Rappel élémentaire, direz-vous.

Enfin, d'autres étudiants sont conscients de leur fragilité devant la dualité emploi-études. Mais en raison de mécanismes existants sur le marché du travail, ils n'ont pas toujours la capacité de dire non à l'employeur. Ils savent qu'ils sont interchangeables, que les listes d'ancienneté peuvent les recaler et même leur faire perdre leur emploi si, par exemple, ils refusent de travailler des heures supplémentaires pour préparer le temps des Fêtes dans des commerces et des boutiques alors qu'ils sont en pleine période d'examens et de remise des travaux scolaires, début décembre. D'autres exemples pourraient également être évoqués. Sur cette question, il importe de mentionner que certains collèges ont pris les devants, surtout en région, afin de développer avec le milieu socioéconomique une concertation pour que les employeurs respectent certaines conditions de travail destinées à ne pas nuire aux études, à la réussite et à la persévérance scolaire des étudiants. Il en va, croyons-nous, de la responsabilité collective des collèges d'intervenir à ce chapitre dans leur communauté respective.

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