Laurentides - Services de santé: la situation est devenue intolérable

Il y a quelques années déjà, des aînés des Laurentides se sont mobilisés pour réfléchir et agir à propos de situations qui les affectent directement. Ils obéissaient ainsi aux impératifs de responsabilisation et de prise en charge de leurs conditions de vie dans tous les domaines. Un comité (parmi d'autres) a examiné de très près les conditions de vie reliées à la santé.

Après avoir sensibilité la population régionale des Laurentides sur les besoins criants d'un centre de radiothérapie à Saint-Jérôme, au bénéfice de toute la population des Laurentides (certaines personnes refusant désormais des traitements contre le cancer en raison de la distance à parcourir et des coûts reliés au transport), voici que le comité Santé de la TRARA a mis au jour une situation désespérante en matière d'accès aux services de santé. Nous n'aborderons ici que quelques dimensions des services de santé.

La population de la région Laurentides est l'une des plus âgées, mais aussi des plus dépourvues au Québec, tant en ce qui a trait aux équipements qu'à la disponibilité de ressources humaines et financières, toutes proportions gardées.

Manque de médecins généralistes

L'engorgement de nos urgences semble la déficience de la médecine de première ligne. On manque de médecins généralistes partout au Québec. Prenons l'exemple de l'instance locale Rivière-du-Nord et Mirabel-Nord où travaillent 107 médecins généralistes, y compris 30 médecins qui oeuvrent en santé publique. Cette instance compte aussi 190 spécialistes dont le plus grand nombre travaillent à l'hôpital et, parmi ces derniers, plusieurs participent à l'offre de services régionale. Nous pouvons citer l'ophtalmologie et l'urologie.

Le conseil régional de la Santé et des services sociaux a eu l'autorisation d'augmenter ses effectifs de quatre médecins généralistes pour 2005, et ce, en plus des remplacements pour les mises à la retraite. Ce qui est nettement insuffisant pour répondre à une population de 121 980 personnes. On nous annonce l'arrivée d'une vingtaine de spécialistes ou chirurgiens. Mais combien de généralistes à venir? C'est sur le territoire des Laurentides que l'expansion démographique est la plus élevée au Québec, donc une demande plus élevée en soins de santé sans augmentation significative d'effectifs. La concentration de personnes âgées y est aussi cinq fois plus élevée qu'ailleurs au Québec.

Autre donnée du problème: l'évolution des mentalités et des habitudes, autant du côté des médecins que de la population. Depuis l'instauration de l'assurance maladie au Québec, depuis la prise en charge universelle par l'État des soins de santé, nous nous attendons à rien de moins qu'à être servis et bien servis. Nous payons des impôts pour cela. Il y a 25 ans, nous affirmions que le Québec avait le meilleur système de santé du monde. On nous citait en exemple. Nous en étions tous fiers.

Nous avions encore l'avantage, pour la plupart d'entre nous, d'avoir un médecin de famille, le même depuis longtemps et qui n'avait plus besoin de faire crédit à ses patients. Le ratio patients-médecins semblait rendre possible un suivi adéquat et rapide. L'urgence de l'hôpital devenait une sorte de grande clinique polyvalente où nous pouvions en tout temps, rapidement, recevoir les soins spécialisés qu'un médecin ne peut offrir à son bureau. Et ceci, sans négliger les véritables urgences: accidents de route, infarctus, etc. Nous avions le meilleur des deux mondes. La population était satisfaite, les médecins aussi.

À propos des médecins de famille, il faut savoir qu'un nouvel arrivant sur notre territoire n'a pas d'espoir d'un suivi médical régulier. Il n'y a pas de médecins de famille disponibles. Il y a de longues listes d'attentes. Certaines personnes doivent retourner d'où elles viennent pour consulter leur médecin même s'il s'agit à chaque fois d'un voyage de 200 à 300 kilomètres. Jusqu'à tout récemment, une donnée importante du problème semblait être les quotas imposés aux médecins de famille. Après avoir reçu un certain nombre de patients, les médecins voyaient leurs honoraires réduits de beaucoup, nous disait-t-on. Les dernières négociations entre l'État et les médecins généralistes ont réglé ce problème.

Médecins et patients: consommateurs avertis et... frustrés

Les temps et les mentalités ont changé. De patients à médecins, nous sommes devenus des consommateurs avertis et... frustrés. Dans la population, certaines personnes croient que plusieurs ont développé une trop grande dépendance à l'égard du système de santé. On aurait perdu un savoir élémentaire pour soigner les bobos quotidiens. Chez d'autres personnes, dont nous sommes, l'information médicale envahit notre quotidien: Internet, livres de vulgarisation médicale, cours de médecine au canal Savoir, etc.

Ces connaissances nous rendent plus perspicaces. Quand surgit un problème de santé, ces personnes veulent trouver une solution rapide et adéquate avec l'aide et la compétence de leur médecin. Il faut que les médecins se rendent compte que l'information médicale de pointe n'est plus une chasse gardée. Cela ne veut pas dire qu'on peut s'improviser médecin. Cependant, constatons qu'une bonne majorité de Québécois savent distinguer les bactéries des virus; ils savent faire la différence entre leurs amygdales et leurs hémorroïdes; ils connaissent les conséquences des délais avant d'obtenir des soins; ils savent aussi reconnaître la différence entre une attitude arrogante et une attitude professionnelle.

Enfin, pendant des années on nous a répété à tout propos «Rendez-vous à l'urgence»... C'est ce que nous avons fait et c'est ce que nous continuons à faire. Hélas! rien ne va plus!

Les médecins aussi sont des consommateurs avertis. Ils ont, sur le plan professionnel, développé de grandes compétences, mais ils ont aussi appris à parler plan d'affaires, gestion d'entreprises et d'horaires, qualité de vie etc. Qui leur en voudrait, avec leur liberté de pratique, d'avoir le loisir d'organiser leur semaine de travail comme ils l'entendent. Ils sont comme nous tous, issus de cette société qui privilégie le bien-être et la croissance individuelle beaucoup plus que la dimension communautaire et collective. Mais il y a un hic. Il y a certains métiers et professions qui, avec leurs avantages financiers sociaux ou autres, ont des exigences incontournables.

Prenons l'exemple d'un chef d'entreprise. Peut-il envisager ne faire que 40 heures par semaine ou seulement du 9 à 5 ? On ne peut-être pompier, policier et croire que l'on aura jamais à travailler le soir la nuit ou la fin de semaine. Imaginez la caserne de pompiers, les services de police affichant FERMÉ du samedi 14 heures au lundi 8 heures. En cas d'urgence, voyez la MRC voisine... Imaginez-vous les transports en commun non opérationnels le week-end?

Par contre, on semble trouver normal qu'entre le samedi 14 heures et le lundi 8 heures toutes les soirées, toutes les nuits de la semaine, le seul recours pour une fracture, une brûlure au 2e degré, une coupure soit l'urgence de l'hôtel-Dieu de Saint-Jérôme où l'on attendra de 10 à 15 heures parce que classé au degré 4 ou 5 (selon un système de priorité) à l'arrivée. Ou encore, pour une tension élevée ou une chute de tension, on se fera reprocher de ne pas se faire suivre par son médecin de famille que de toute façon on ne peut avoir.

Des solutions possibles?

Est-ce que la situation peut continuer ainsi? Est-ce logique de croire encore que l'urgence d'un hôpital régional peut servir de grande clinique familiale de dépannage?

Actuellement, l'État et diverses instances, dont le centre régional de la Santé et des services sociaux, le département régional de la médecine générale et des citoyens comme ceux de la TRARA, réfléchissent à des solutions.

On parle de groupes de médecine familiale, de partenariat public-privé, de coopératives de soins, etc.

Il y a déjà des expériences sur le terrain ici et ailleurs. Des groupes de médecine familiale ont vu le jour à certains endroits. Il y a parfois des tiraillements. Il y a des changements à apporter. Certains médecins offrent une sorte d'abonnement pour assurer un nombre déterminé d'actes médicaux en tout temps.

Allons-nous vers une médecine à deux vitesses? Est-ce seulement les mieux nantis qui tireront leur épingle du jeu ? Est-ce possible d'allier système public et participation privée raisonnable sans tomber dans le piège d'exclure ceux et celles qui ont les plus grands besoins?

Chose certaine, la population ne peut plus tolérer cela.

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Marie-Thérèse Lemay, Membre du comité Santé de la Table de réflexion et d'action des retraités et des aînés (TRARA)

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