Libre-opinion: Le Cadre national sur le soutien communautaire en logement social: un test pour la réforme Couillard

«Des logements. Pas des lits!» Voilà la formule utilisée par Alice Sundberg, de la British Columbia Non Profit Housing Association, pour conclure sa conférence faite au colloque Parce que l'avenir nous habite. Le soutien communautaire pour vivre mieux!, organisé par le Réseau québécois des OSBL d'habitation le 9 novembre dernier à Montréal.

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Yves Vaillancourt
Professeur associé, Laboratoire de recherche sur les pratiques et les politiques sociales (LAREPPS)
Université du Québec à Montréal
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Avec cette expression choc, Mme Sundberg attire l'attention sur la spécificité du logement social avec soutien communautaire. Pour elle, la formule du logement (ou de l'habitation) ne doit pas être confondue avec celle de l'hébergement. Quand une personne à faible revenu et fragilisée sur le plan social vit dans un logement social grâce à un soutien communautaire, elle demeure chez elle. Elle n'est pas «placée» dans une ressource résidentielle de type hébergement ou dans un «milieu de vie substitut», comme c'est le cas dans une ressource intermédiaire (RI) ou une ressource de type familial (RTF), pour reprendre le langage de la Loi sur la santé et les services sociaux.

Innovation sociale

J'aimerais reprendre à mon compte la formule pour soulever quelques enjeux politiques que nous vivons présentement au Québec au moment où deux importants réseaux, soit celui de l'habitation et celui de la santé et des services sociaux, après deux ans de négociation, s'apprêtent à s'entendre sur l'adoption d'un «cadre national».

Ce dernier se présente comme un dispositif souple pour reconnaître et financer une innovation sociale qui a fait ses preuve depuis 20 ans. Il s'agit du logement social avec soutien communautaire qui ne pourra pas s'étendre et se consolider sans que les deux réseaux fassent la preuve de leur capacité de travailler ensemble de manière intersectorielle et partenariale.

Il y a 30 ans, le logement social, déployé d'abord par des offices municipaux d'habitation (OMH) puis par des coopératives et des OSBL d'habitation, visait des personnes à faible revenu. Depuis 15 ans, dans un contexte de désinstitutionnalisation et de non-institutionnalisation, le logement social cible non seulement des personnes à faible revenu, mais aussi des personnes qui sont à la fois à faible revenu et vulnérables sur le plan social (en raison de difficultés de santé mentale, d'itinérance, de perte d'autonomie liée au vieillissement, d'incapacité physique ou intellectuelle, de toxicomanie, etc.).

Cet élargissement de la clientèle a été rendu possible grâce à une trouvaille sociale, le logement social avec soutien communautaire. Cette formule est le fruit d'une collaboration étroite entre des inventeurs appartenant à la fois au réseau de l'habitation et à celui de la santé et des services sociaux. Ses promoteurs proviennent du secteur public et du tiers secteur (organismes communautaires et économie sociale).

Dans la définition fournie dans la version de juin 2006 du Cadre national sur le soutien communautaire en logement social produit par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et la Société d'habitation du Québec (SHQ), le soutien communautaire est défini comme «un ensemble d'actions qui peuvent aller de l'accueil à la référence en passant par l'accompagnement auprès de services publics, la gestion des conflits entre locataires, l'intervention en situation de crise, l'intervention psychosociale, le support au comité de locataires et aux autres comités et l'organisation communautaire».

Politique nationale

Au fil des 10 dernières années, les atouts de la formule du soutien communautaire en logement social ont été bien documentés par la recherche et appréciés par les résidents concernés. Ils sont reconnus par nombre d'acteurs, de décideurs, de chercheurs, d'associations d'intervenants et d'usagers.

Mais le problème qui perdure, c'est celui de sa reconnaissance et de son financement à partir d'une politique publique québécoise permettant la diffusion de l'innovation dans tous les territoires où des besoins la réclament. En attendant, les pratiques novatrices de logement social se développaient en misant uniquement sur la débrouillardise des acteurs concernés dans les communautés locales et les régions. Cela va à l'encontre de l'équité interterritoriale. D'où la demande d'une politique nationale véhiculée depuis 10 ans par les promoteurs et les acteurs concernés.

Quand nous disons «Pas des lits, des logements!», nous ne voulons pas dire que nous sommes contre le développement de places d'hébergement, notamment pour des personnes âgées en perte d'autonomie. Au contraire, en dépit de notre adhésion forte aux principes de la désinstitutionnalisation, y compris pour des personnes âgées, en tenant compte des prévisions démographiques, nous avons exprimé notre désaccord avec la politique du MSSS concernant le gel du développement de places de CHSLD d'ici à 2010.

Mais nous ne voulons pas que le logement social avec soutien communautaire soit vu comme un sous-ensemble de ressources résidentielles de type hébergement. Le logement social ne constitue pas de «l'hébergement alternatif», mais une «alternative à l'hébergement», en permettant aux personnes qui peuvent en bénéficier de vivre chez elles à un coût abordable et avec une belle qualité de vie.

Présentement, une entente entre le MSSS et la SHQ est à portée de la main pour transformer les expérimentations novatrices de logement social avec soutien communautaire en politiques publiques durables.

Évidemment, comme c'est le cas à l'aube de toute institutionnalisation, des inquiétudes sont de mise. Elles sont alimentées par le contexte de la réforme Couillard (lois 25 et 83) qui fait craindre une subordination du réseau de l'habitation au réseau de la santé et des services sociaux, une remontée de l'hospitalo-centrisme et du CHSLD-centrisme, un oubli de la mission préventive et communautaire du CLSC, une légitimation du sous-financement québécois des services de soutien à domicile, un non-respect de l'autonomie des organismes communautaires, un tassage de la politique de la santé et du bien-être, une banalisation des déterminants sociaux de la santé et un traitement étriqué des «projets cliniques» des nouveaux CSSS.

Ces craintes sont justifiées, mais elles ne sont pas nouvelles. Elles font partie de la vraie vie. Elles ont jalonné le parcours de ceux et celles qui ont inventé et appliqué la formule du logement social avec soutien communautaire au Québec au cours des 15-20 dernières années. Au moment où de nouveaux gains peuvent être effectués, le moment ne serait-il pas mal choisi de bouder notre plaisir sous prétexte que des obstacles semblent poindre à l'horizon?

Après tout, ne pourrions-nous pas voir l'adoption prochaine d'une politique de reconnaissance et de financement du logement social avec soutien communautaire comme un test qui tombe bien en interpellant la réforme Couillard et en lui donnant l'occasion de démontrer si elle est capable de reconnaître et soutenir une innovation sociale sans porter atteinte à sa spécificité?

Évidemment, pour que les choses se passent bien, il y a des conditions à surveiller, dont la diffusion d'une information de qualité et le déploiement d'activités de formation appropriées dans tous les milieux concernés.

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