Tourisme et voyage: le Canada à un tournant décisif
En 2005, le tourisme international a bondi de 83 % au Swaziland. Pas surprenant: le tourisme est en forte croissance dans pratiquement tous les pays, et de 5,5 % à l'échelle mondiale. Un pays fait bande à part: le Canada. C'est le seul pays de tout le continent américain, et un des rares dans le monde, à voir le nombre de ses visiteurs étrangers diminuer (de 2,2 % en 2005, de 4 % jusqu'ici en 2006). Nous avons déjà fait partie de la liste des 10 pays les plus populaires dans le monde. Ce temps-là est révolu.
***Jean-Marc Eustache
Président et chef de la direction, Transat A.T. inc.
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Le tourisme est une industrie de 6000 milliards de dollars US, la plus importante du monde. Il représente 220 millions d'emplois (2 millions au Canada), et les touristes internationaux (806 millions dans le monde en 2005) constituent un marché d'exportation très convoité. Le Canada, jadis choyé, fait donc face à un défi monumental. Devant cet état de fait, on voudrait que le gouvernement fédéral fasse davantage preuve de vision stratégique et de leadership. Cela reste à voir.
Les entreprises canadiennes de voyage et de tourisme ont joué un rôle central dans le succès du Canada comme destination touristique. Ensemble, nous avons développé de nouvelles liaisons aériennes directes, travaillé avec des voyagistes, des entrepreneurs et des communautés pour lancer et soutenir de nouveaux produits, et, bien sûr, fait la promotion du pays à l'étranger. Transat, pour sa part, «vend» le Canada dans plus de 50 pays.
Le gouvernement fédéral veut maintenant de nouveaux accords «ciels ouverts». Nous disons oui: une libéralisation accrue nous sourit totalement. Mais elle ne profitera au Canada que si elle s'accompagne de la reconnaissance, par le gouvernement, que l'industrie canadienne du tourisme et du voyage est gravement désavantagée, et qu'il prend action pour corriger la situation et éviter des dommages majeurs à notre économie.
Sur ce plan, la récente annonce d'une nouvelle politique aérienne internationale nous laisse sur notre faim.
Personne n'a jamais gagné une course avec un bloc de ciment attaché autour du cou. Surtout contre des concurrents gonflés aux stéroïdes. Le bloc de ciment, en l'occurrence, représente les coûts hors de contrôle, et astronomiques, imposés aux compagnies aériennes et à leurs clients, qui mettent en péril la compétitivité des entreprises.
Au début des années 90, le gouvernement a commencé à transférer les aéroports à des entités semi-commerciales autonomes. Le résultat de cette opération a été désastreux pour les compagnies aériennes et leurs passagers, le gouvernement mettant en place une politique qui allait lui permettre d'engranger 13,5 milliards de dollars en loyers pour les infrastructures en question. Ce montant a par la suite été «réduit» à 8 milliards de dollars — le tout pour des actifs qui valaient sans doute moins de 1,5 milliard au moment du transfert. Et les aéroports avaient besoin d'une remise en état majeure, que l'on effectue maintenant à grands frais. Les coûts des loyers et des travaux sont tous deux passés directement aux compagnies aériennes et aux voyageurs. Résultat: alors que le gouvernement fédéral encaisse chaque année quelque 300 millions de dollars en loyers, il ne dépense pas un sou pour développer ou entretenir les aéroports canadiens.
Cela fausse la donne en faveur des transporteurs étrangers. À titre d'exemple, alors qu'il en coûte environ 3500 $ à un transporteur européen pour faire atterrir un Airbus A330 à sa plaque tournante de Paris-Charles de Gaulle, Air Transat doit payer près de 11 000 $ pour faire atterrir ses propres Airbus A330 à sa base de Toronto-Pearson. Ces deux aéroports représentant des milliers d'atterrissages et la majorité des coûts d'aéroport des deux transporteurs, il devient clair que le transporteur européen profite alors d'un avantage substantiel. Alors que le gouvernement propose un marché plus ouvert, il maintient des politiques qui entraînent une distorsion qui défavorise les transporteurs canadiens. Une étude récente de l'Institut économique de Montréal va dans ce sens et recommande au gouvernement de réduire le fardeau fiscal du secteur aérien.
L'élimination projetée du Programme de remboursement de la TPS/TVH aux visiteurs constitue un autre exemple de politique courte vue. Lancé au début des années 1990, ce programme venait reconnaître le caractère d'exportation des produits et services touristiques, de même que les revenus en découlant, et appliquait en conséquence une exonération de taxes à la consommation. Cette approche convergeait avec les politiques de la plupart des pays de l'OCDE, auxquels le Canada livre une concurrence énergique pour les revenus des touristes étrangers. Cette autre mesure aura pour effet d'imposer une nouvelle taxe de 6 % aux forfaits canadiens vendus à l'étranger, rendant le «produit Canada» moins attrayant, surtout quand on tient compte de notre devise plus forte. Voilà d'excellentes nouvelles... pour nos concurrents. Voilà une mesure qui aura un impact négatif sur l'économie canadienne parce qu'elle menace notre part de marché du tourisme international, déjà à la baisse.
Tout ceci se traduit par des coûts plus élevés pour nos entreprises, et des prix plus élevés pour les consommateurs, surtout quant on ajoute d'autres frais, comme les frais de sécurité, qui sont parmi les plus élevés du monde.
Nous sommes d'accord avec le principe de la libéralisation du ciel. Nous ne craignons pas la concurrence. Nous ne demandons pas de subventions. Et nous sommes prêts à travailler et à soutenir les efforts en vue d'une libéralisation accrue. La vraie question, c'est «est-ce que le gouvernement, lui, est prêt à travailler avec nous?» Pour le moment, nous avons des doutes, et nous avons suggéré, jusqu'ici en vain, la mise sur pied d'un groupe de travail conjoint pour nous attaquer à ces enjeux, en vue de conserver une industrie innovante, de calibre mondial, qui contribue à notre prospérité. Une libéralisation accrue est tout simplement incompatible avec le cadre tarifaire actuel.
Transat A.T. inc. est la compagnie-mère d'Air Transat, le plus important transporteur aérien canadien spécialisé dans les vacances, et de Jonview Canada, le plus grand voyagiste réceptif au pays.