La sagesse de la méthode Bourassa
J'ai beaucoup étudié M. Bourassa au fil des ans avant de devenir chef de cabinet. Il était une personne qu'on pouvait «challenger», qu'on pouvait contredire, avec laquelle on pouvait même être en désaccord. Ce qui pouvait paraître aux gens de l'extérieur comme de l'indécision, c'était sa façon de solidariser son entourage.
Le meilleur exemple, c'est la question de la langue. Il était clair que Bourassa se rendait compte qu'il mettait en péril la paix sociale, un élément important de son action politique. La promesse de régler la question de l'affichage bilingue dans son premier mandat, chose qu'il a réglée dans son deuxième, n'était pas mûre pour une décision en rapport avec le programme.D'un côté, des gens de son parti, dont j'étais, défendaient la thèse qui voulait qu'on respecte le programme pour ne pas briser les liens de confiance avec les militants. D'un autre côté, une partie de sa députation tenait au principe selon lequel «un droit, c'est un droit». Et, entre les deux, il y avait des gens qui étaient un petit peu mous et sensibles à l'opinion publique.
La paix sociale d'abord
L'évaluation que Bourassa a faite dès le départ, c'était qu'il fallait trouver une solution qui protégeait la paix sociale au risque de perdre des députés et des ministres, et même — je dirais, en rétrospective — au risque de perdre l'accord constitutionnel du Lac-Meech. Dans sa tête, il savait qu'il fallait qu'il y aille. Donc, si on ne savait jamais où il logeait, lui, il le savait. Ça prenait une clause nonobstant, et il était prêt à aller dans cette voie.
Quand on lui disait que le recours à cette clause mettait en péril la participation du premier ministre du Manitoba à l'accord du Lac-Meech, ça ne l'impressionnait pas. Il disait que, venant du Manitoba, ce premier ministre était mal placé pour lui donner des leçons.
Quand la décision a été prise, j'avais un choix. J'étais maintenant chef de cabinet adjoint. J'avais le choix d'y rester ou de le quitter, mais j'ai trouvé son cheminement foncièrement impressionnant, et il m'a toujours fait sentir que c'était une solution temporaire. Donc, j'ai choisi de rester.
Et, pour me permettre de vivre ces moments difficiles, il m'a donné le mandat de gérer le dossier des plans d'accès de la communauté anglophone aux milieux de la santé et des services sociaux. C'était une autre promesse et c'était très important. Le reste était symbolique, tandis que l'autre, c'était du concret. Bourassa croyait dans le concret et il m'a dit: «C'est ton dossier.» Il m'a même associé aux règlements pour appliquer sa fameuse formule d'intérieur-extérieur. Donc, il m'a vraiment mis dans le milieu du dossier.
Quand je suis devenu chef de cabinet et que, quatre ans plus tard, il a fallu penser au nouveau débat sur la clause nonobstant, le climat avait changé. Là, j'ai vu la sagesse de la méthode Bourassa. Il fallait laisser mûrir les esprits au Québec. Il connaissait profondément les Québécois. Je suis sorti de cet épisode de quatre ans avec une profonde loyauté.
Celui qui décide
L'autre débat portait sur la proposition Bélanger-Campeau d'une loi visant à faire un référendum sur la souveraineté si on n'avait pas de nouvelles propositions fédérales pour telle date. M. Bourassa savait que s'il avait des offres convenables, il pouvait aller chercher l'appui de la Chambre. Cela n'aurait pas été difficile, nous formions un gouvernement majoritaire. Et s'il n'avait pas d'offre, il fallait aller en référendum.
J'ai dit que c'était très risqué de jouer: c'était quitte ou double, quasiment. Il m'a répondu: «C'est moi, ultimement, qui vais décider. Mon but, c'est que nous ayons des offres acceptables que nous puissions passer à la Chambre.»
La seule affaire qu'il n'avait pas prévue, c'était que Mulroney soumettrait éventuellement Charlottetown à un référendum national qui nous a forcés à en faire un. [...]
Bourassa avait le sens de l'histoire. Cela, c'était une grande force. [...] Bourassa lisait beaucoup l'histoire. Moi aussi, les biographies en particulier. Et quand je lis sur Roosevelt, j'y vois beaucoup du style de Bourassa. Et quand je lis sur Churchill, je vois aussi du Bourassa en ce qui concerne sa capacité de revenir face à l'adversité.
Il y a de l'intangible chez certains leaders politiques. La capacité de revenir quand everybody gave up on you. Bourassa avait cette capacité. Il voyait la politique comme un très long processus: il était plus européen que nord-américain en ce qui a trait à la politique. Il ne voyait pas de limite d'âge dans le service. Il voyait la capacité de se reprendre; il ne voyait pas quelqu'un devenir usé, inutile. C'était français. Il respectait beaucoup les Américains, mais il trouvait qu'ils avaient un manque de culture politique.
Si ce n'avait pas été la maladie, je suis convaincu que M. Bourassa aurait tenté un troisième retour. Il aurait certainement été un acteur dans la suite des choses.
* Extraits tirés de l'entretien de John Parisella paru dans Les Éminences grises - À l'ombre du pouvoir, d'Yves Théorêt et André-A. Lafrance, Éditions Hurtubise HMH, collection «Les Cahiers du Québec», Montréal, 2006.