Un rendez-vous manqué

Ce n'était qu'une question de temps, nous le savions depuis le début. Tôt ou tard, Anna Politkovskaïa allait se faire assassiner. Elle nous avait confié que ses deux enfants craignaient particulièrement l'entrée et l'ascenseur de son immeuble...

Anna Politkovskaïa, ça vous dit quelque chose? Très critique de la politique de Moscou, la journaliste russe à la Novaïa Gazeta était une des dernières à couvrir encore le conflit oublié en Tchétchénie. Elle avait le courage de se rendre dans ce coin d'enfer pour dénoncer les violations des droits de l'homme perpétrées par le gouvernement russe. Une audace que plusieurs de ses collègues ont payée de leur vie avant elle.

En juin 2004, nous devions nous rendre à Moscou pour réaliser un documentaire sur elle. Anna nous attendait, tout était prêt. Nous avions même réussi à obtenir l'autorisation du gouvernement russe. Une tâche ardue. Mais nous n'y sommes jamais allées.

Alors que le pourcentage de citations de femmes dans les colonnes de la presse écrite atteint un maigre 17 %, Anna représentait le modèle de femme experte qui doit être connue du grand public et que nous souhaitions présenter dans le cadre d'une série documentaire. Nous en avions sélectionné 12 autres comme elle, sachant que plusieurs étaient en danger. La consternation nous a envahies samedi lorsque nous avons été informées que le corps d'Anna avait été retrouvé criblé de balles... dans l'ascenseur de son immeuble.

Sujets non canadiens?

La série était écrite, programmée, vendue, et allait être diffusée à travers la francophonie. Elle aurait été un outil de conscientisation unique pour montrer le travail fait par des femmes pour faire avancer toutes les valeurs qui nous tiennent à coeur. Car le Canada ne se veut-il pas le défenseur de la paix, de la transparence, des droits humains, de l'avancement de la femme? N'est-ce pas l'image qu'il souhaite projeter dans le monde?

Alors, quoi de mieux que de prêcher par l'exemple? L'exemple, pour être valide, doit-il ne provenir que de nous? Ou pouvons-nous dire au monde: «voici, ce que nous prêchons ressemble à ce que font ces personnes»? Mais il semble que nous ne pouvons pas nous inspirer des autres pour propager nos valeurs. Le financement de ce projet n'a jamais été complété, car les sujets n'étaient pas canadiens.

Nous aurions pu apprendre beaucoup d'Anna Politkovskaïa. Cette information aurait fait de nous des citoyens plus éduqués à propos de ce qui se passe ailleurs dans le monde. Ç'aurait été de l'inspiration pour poursuivre le combat de la vérité et des droits humains. Ne manquez-vous pas d'ailleurs de modèles inspirants?

Mais il est trop tard, maintenant. Anna n'est plus désormais que cette journaliste russe qui s'est fait assassiner. C'est avec une infinie tristesse que nous remettrons notre ouvrage sur le métier jusqu'à ce que nous puissions enfin faire connaître les battantes comme elle...

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