La survie des télévisions généralistes privées au Québec - Il faut revoir de toute urgence les règles en fonction des réalités du marché

Au moment où le CRTC s'apprête à tenir des audiences publiques sur l'avenir de la télévision en direct au Canada, il importe de rappeler les enjeux vitaux auxquels fait face, à l'heure actuelle, l'industrie de la télévision généraliste privée au Québec. Dans un contexte d'évolution technologique rapide et de multiplication des fenêtres de diffusion alternatives, ces enjeux sont tels que l'urgence d'agir ne peut plus faire de doute dans l'esprit de quiconque se soucie du maintien de l'identité culturelle francophone en Amérique du Nord.

Un modèle essentiel mais menacé

Au Québec, la télévision généraliste privée est non seulement un service essentiel en matière d'information mais aussi, indéniablement, un facteur de cohésion économique, sociale et culturelle. Elle est, en particulier, celle qui investit le plus massivement dans la programmation canadienne (90 % de toutes ses dépenses de programmation pour le réseau TVA) et rejoint les plus vastes auditoires en misant avant tout sur cette programmation originale. Elle est la première source — et le premier animateur — de ce qu'il est convenu d'appeler le «star-système» à la québécoise, lequel est à l'origine du succès de toutes les formes d'expression artistique.

Or ce modèle, qui contribue de manière essentielle à la vitalité culturelle du Québec, est aujourd'hui menacé. Bien que les parts de marché du réseau TVA demeurent largement supérieures à celles des autres chaînes généralistes et spécialisées, ses résultats financiers sont en érosion, comme c'est le cas de l'ensemble des télévisions généralistes en Occident.

Les raisons de cette situation sont multiples. À titre indicatif, on peut citer les facteurs suivants: pression à la hausse des coûts de production; compétition imparable de la télévision spécialisée qui accapare une part toujours plus importante de la tarte publicitaire avec des productions à petit budget, l'acquisition massive de productions étrangères et un taux de répétition élevé des émissions les plus porteuses; engagement systématique de la télévision d'État dans la guerre des cotes d'écoute, allant jusqu'à utiliser des fonds publics pour acheter des émissions américaines; fragmentation accélérée des auditoires, qui migrent vers d'autres fenêtres de diffusion.

En faveur des redevances

Il est urgent de rendre aux télévisions généralistes privées des conditions d'exploitation qui lui permettent de maintenir le rôle historique qui est le sien dans la diffusion d'un contenu canadien de qualité, particulièrement sur le marché restreint du Québec, habitué à soutenir une télévision qui en reflète les particularités.

Au premier chef, le CRTC doit corriger l'iniquité du système actuel qui permet aux seules chaînes spécialisées de percevoir des redevances auprès des entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR) alors que les télévisions généralistes sont exclues de cette source de financement.

Les coûts de production ne diminueront pas, les revenus publicitaires n'augmenteront pas et les habitudes des consommateurs continueront de favoriser le morcellement des auditoires médiatiques. Dans ces conditions, un accès aux redevances demeure le seul moyen disponible pour assurer la pérennité de la télévision généraliste privée au Québec et, par voie de conséquence, la diffusion du contenu original canadien. Il est toutefois essentiel d'indiquer qu'il serait inéquitable de demander encore une fois aux auditeurs de payer pour ce contenu en augmentant le prix de la facture des télédistributeurs.

En d'autres mots, nous sommes d'avis qu'il faut répartir plus équitablement la globalité des redevances déjà payées par les auditeurs et non pas se contenter de simplement l'augmenter en y ajoutant de nouvelles redevances pour les chaînes généralistes. De fait, un accès aux redevances par les diffuseurs généralistes privés permettrait à ces télévisions de maintenir leur rôle historique en faveur de la diffusion du contenu original canadien.

Nous sommes toutefois d'avis qu'un tel accès aux redevances ne devrait pas s'appliquer aux télévisions publiques, qui bénéficient d'un large soutien financier de l'État en plus d'avoir accès aux ressources de la publicité.

Nous sommes par ailleurs persuadés, dans ce contexte, que le CRTC devrait non seulement donner l'accès à des redevances aux télévisions généralistes privées mais aussi permettre la libre négociation des tarifs entre celles-ci et les télédistributeurs.

La même approche devrait s'appliquer à la détermination des tarifs versés aux canaux spécialisés. Autrement, nous nous retrouvons avec des réalités inexplicables comme le fait que RDI, le canal d'information de la SRC, reçoit mensuellement 1 $ par abonné alors que LCN, le canal d'information de TVA, reçoit mensuellement 46 ¢ par abonné. Pourtant, les récents chiffres démontrent que le public ne suit pas la logique du CRTC, qui a arbitrairement déterminé ces tarifs, puisque, de plus en plus souvent, il regarde davantage LCN que RDI.

Il nous paraît que le marché est suffisamment mûr et les divers intervenants assez solides pour être en mesure de protéger efficacement leurs intérêts. En d'autres mots, nous croyons que le marché a suffisamment évolué pour qu'on laisse davantage les forces naturelles qui le caractérisent jouer leur rôle.

La nécessaire déréglementation

Il est évident à nos yeux qu'il est plus que temps que le gouvernement et les organismes publics mettent un terme à leurs intrusions dans la gestion de la télévision privée. En clair, le CRTC devrait, dans les meilleurs délais, assouplir de façon significative une réglementation obsolète qui s'avère plus que jamais un frein à la créativité, au dynamisme et à la santé financière de la télévision généraliste privée.

Par exemple, il nous paraît que l'organisme réglementaire devrait lever au plus tôt toutes les contraintes relatives au placement média en dehors de la diffusion du message publicitaire traditionnel. À cet égard, le marché dicte sa propre discipline et la concurrence est telle qu'il n'est pas de l'intérêt d'un diffuseur comme TVA de se livrer à une surenchère de messages publicitaires.

Par ailleurs, l'obligation systématique que le CRTC impose aux diffuseurs de recourir à la production indépendante ne sert pas l'intérêt public. Alors que partout ailleurs nous assistons à une intégration des grandes entreprises de production et des diffuseurs, le Canada proscrit la simple possibilité pour les diffuseurs de développer des entreprises de production affiliées.

Il n'existe aucune raison économique, philosophique ou culturelle qui devrait empêcher un diffuseur d'investir dans des entreprises de production. L'affiliation de ces entreprises à de grands groupes constitue une meilleure garantie pour le développement de la programmation canadienne. Le maintien des règles actuelles ne sert qu'à perpétuer des privilèges et à créer une forme de distorsion des règles du jeu, sources d'inflation dans les coûts et de perte de la notion de risque financier.

Nous croyons en outre que le CRTC devrait encourager les diffuseurs généralistes à acquérir les droits de diffusion pour une exploitation de la production originale sur toutes les nouvelles fenêtres de diffusion. Il est clair que les règles actuelles à cet égard constituent autant de freins à la diffusion de contenus canadiens sur l'ensemble de ces fenêtres. Dans le même esprit, l'organisme réglementaire doit lever les contraintes qui empêchent les diffuseurs privés de réunir toutes leurs forces afin d'offrir une information plus diversifiée et de meilleure qualité. Voilà le principe que Quebecor a soumis au CRTC, dans le cadre d'un processus de révision de la loi sur la radiodiffusion, et défendra lors des audiences publiques qui s'ouvriront le 27 novembre à Gatineau. Dans notre mémoire, nous avons soulevé la question de l'étanchéité de la salle de rédaction de TVA, imposée par le CRTC au moment de l'achat de TVA par Quebecor Média, comme Le Devoir le soulignait hier, mais n'avons pas demandé qu'elle soit levée. Précisons que cette condition est valide jusqu'en 2008.

Dénouer l'impasse

La télévision généraliste privée de langue française au Québec a toujours fondé son succès sur le contenu canadien. Mais pour les raisons que nous venons d'expliquer, elle est aujourd'hui dans une impasse. Le CRTC ne peut sérieusement envisager de maintenir le rôle historique de cette télévision généraliste sans également revoir les sources de financement et l'ensemble des obligations et contraintes qui y sont associées.

Tout comme l'ensemble de la population, nous sommes fiers de ce que nous avons créé afin de maintenir et consolider nos industries culturelles. Nous souhaitons vivement qu'elles demeurent aussi vivaces pour l'avenir, car il en va du maintien de notre identité.

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