Quelle menace nord-coréenne?
Plus de 48 heures après le séisme artificiel qui a secoué la Corée du Nord, aucun pays n'est en mesure de confirmer qu'il s'agit là d'un véritable essai nucléaire, à l'exception bien sûr de la Corée du Nord, qui se vante d'avoir réussi l'exploit. Doit-on s'en étonner? Aucunement. Pourrait-il s'agir d'un bluff? Peut-être.
En réalité, la nature du test effectué importe peu car les priorités de la Corée du Nord demeurent inchangées, et ce récent coup d'éclat ne fait pas de l'État communiste une menace imminente.Ce qui est au coeur de cette démonstration
Étant donné la situation précaire du pays sur le plan économique, Kim Jong-il a toujours comme objectif principal d'assurer la survie de son régime en monnayant sa capacité nucléaire et balistique contre une aide énergétique et économique soutenue. Consciente du fait que sa posture militaire indispose les États environnants, la Corée du Nord instrumentalise sa capacité nucléaire afin de forcer les négociations, au point mort depuis plus d'un an. C'est pourquoi, dans sa déclaration officielle du 2 octobre dernier, alors qu'elle annonçait l'éventualité d'un test nucléaire, elle rappelait également qu'elle restait ouverte au dialogue et à la négociation.
Ce test n'a donc rien d'étonnant et s'inscrit dans la lignée des rapports conflictuels qui caractérisent les relations entre Pyongyang et Washington depuis la fin de la guerre froide.
On ne saurait ignorer la dynamique interne propre à la Corée du Nord. En effet, il est fort possible que Kim Jong-il procède à une telle démonstration de force afin de renforcer sa légitimité auprès de la branche militaire nord-coréenne.
Continuité
D'ailleurs, en 1994, cette stratégie nord-coréenne avait porté fruit. En menaçant de se retirer du Traité de non-prolifération (TNP) et d'expulser les inspecteurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), la Corée du Nord avait provoqué une première crise nucléaire en Asie du Nord-Est.
L'administration Clinton avait alors déployé d'intenses efforts de négociations diplomatiques qui, en octobre 1994, ont abouti à la conclusion de l'Accord-Cadre, une entente historique qui mettait un terme à la crise. Pyongyang s'engageait à demeurer membre du TNP et à suspendre indéfiniment ses activités nucléaires en échange d'une aide économique et énergétique.
Pourtant, en octobre 2002, une deuxième crise nucléaire éclatait: à la suite de la reconnaissance par des officiels nord-coréens devant leurs homologues américains de l'existence d'un programme secret d'enrichissement d'uranium, l'administration Bush avait mis un terme à cette entente. En retour, en décembre 2002, la Corée du Nord expulsait les inspecteurs de l'AIEA puis se retirait du TNP, créant un précédent historique en devenant le premier pays à dénoncer ce traité.
Sous les pressions de la Chine et de la Corée du Sud, les États-Unis et la Corée du Nord ont accepté, en août 2002, de reprendre le dialogue dans un format multilatéral à six, avec le Japon et la Russie. En vain. D'une part, au cours de la dernière année, les velléités nucléaires de l'Iran ont contribué à reléguer le dossier nord-coréen à l'arrière-plan. D'autre part, devant l'inefficacité de ce forum diplomatique, l'administration Bush a décidé, en novembre 2005, d'imposer davantage de sanctions économiques au régime de Kim Jong-il en gelant les avoirs des comptes bancaires extraterritoriaux de l'élite dirigeante.
Depuis lors, la Corée du Nord a refusé de reprendre les discussions tant et aussi longtemps que ces sanctions seront en vigueur.
Ainsi, ce (possible) test nucléaire de la Corée du Nord, tout comme les tirs de missiles du 5 juillet dernier, doit être vu non pas comme une rupture mais plutôt comme une continuité dans sa stratégie de politique étrangère. Il s'agit d'une tentative supplémentaire des dirigeants nord-coréens de revenir au centre des préoccupations internationales et d'ouvrir la voie à des négociations.
À court terme: les sanctions internationales
Ont-ils visé juste? À court terme, non, puisque l'aggravation des sanctions semble faire consensus au sein du Conseil de sécurité. Sans grand étonnement, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France sont nettement en faveur d'une résolution ferme qui autorisera l'imposition de sanctions économiques contre Pyongyang.
De façon plus significative, la Chine et la Russie, qui avaient menacé d'utiliser leur veto contre une résolution trop contraignante lors des événements de juillet, semblent cette fois-ci déterminées à aller de l'avant avec ce type de diplomatie coercitive.
À ce titre, la position de Pékin en dit long sur sa relation avec Pyongyang. Bien qu'il s'agisse du principal allié de la Corée du Nord, la patience chinoise connaît également des limites. Qualifiant le récent comportement nord-coréen d'éhonté et d'irresponsable, il est fort probable que la Chine décide de couper temporairement les vivres à son voisin communiste.
Néanmoins, une pression trop forte pourrait ne pas avoir l'effet escompté. Conscient de la précarité socioéconomique de son allié, Pékin veut à tout prix éviter de pousser le régime de Kim Jong-il au bord du gouffre. Advenant un effondrement du régime, la Chine serait aux prises avec une crise humanitaire sans précédent puisque la seule porte de sortie pour les Nord-Coréens est la frontière que partage la Corée du Nord avec la Chine (la zone démilitarisée qui divise la péninsule coréenne étant un véritable champ de mines).
À long terme: la reprise des négociations
Qu'en sera-t-il à plus long terme? Il est probable que, conformément à la logique qui prévaut depuis plus de dix ans, les pourparlers à six reprendront. D'une part, la dynamique de confrontation de l'administration américaine ne mène nulle part. La situation actuelle en Asie du Nord-Est s'est nettement détériorée depuis l'arrivée de George W. Bush au pouvoir. D'autre part, Pyongyang a clairement fait savoir que la voie du dialogue était toujours possible.
Néanmoins, étant donné l'impasse qui persiste depuis plus d'un an au sein des pourparlers à six, il se pourrait fort bien que ceux-ci reprennent dans un format différent. C'est pourquoi le nouveau secrétaire général des Nations unies, le Sud-Coréen Ban Ki-moon, pourrait devenir un joueur clé dans la résolution de cette affaire. Ayant agi à titre de ministre des Affaires étrangères de la Corée du Sud pendant trois ans et comme conseiller à la sécurité nationale pendant plus de cinq ans, sa connaissance du dossier nord-coréen ne pourra que profiter à la situation. Ainsi, il ne faudrait pas s'étonner de voir Ban Ki-moon agir comme conciliateur entre les parties.
Peu importe les événements qui surviendront au cours des prochaines semaines, il demeure impératif (même lorsqu'on évoque l'instrumentalisation de la menace nord-coréenne par le Japon) de ne pas tomber dans un discours alarmiste sur l'imminence de la menace nord-coréenne. Rien ne serait plus faux. Aussi brutal que le régime de Kim Jong-il puisse être sur le plan interne, ses objectifs de politique étrangère restent inchangés. Et, aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce «possible» essai nucléaire de la Corée du Nord reflète davantage le désespoir du régime qu'une volonté de puissance régionale.