Revue de presse: La reine et les idiots

La visite de la reine et les commentaires antimonarchistes de John Manley: la presse du ROC a repris pour une énième fois cette semaine le bon vieux débat sur la monarchie.

Face à la «tempête» déclenchée par les propos de Manley, le Globe and Mail a opté pour le ton dédramatisant, mardi: «La reine n'a pas à se sentir offensée lorsqu'un politicien remet en question le rôle constitutionnel de la famille royale. Elle sait que ce n'est pas personnel.» Surtout, note le Globe, que Manley a pris soin, dans ses déclarations, de louer «le travail de la reine», insistant pour dire qu'elle «mérite le respect de tous». Le Globe concède que le moment choisi par Manley n'était pas idéal, mais «c'est là une opinion qui recueille passablement d'appuis et qui mérite donc d'être débattue». De plus, le Globe — et d'autres chroniqueurs, comme John Fraser, du Post — dit aimer la franchise de Manley.

Selon Mark Steyn, du National Post, tout débat sur la république du Canada est inutile puisque Trudeau et Chrétien ont choisi la règle de l'unanimité pour modifier cet élément de la Constitution canadienne. «Le Canada cessera d'être une monarchie lorsqu'il cessera d'être, point.» Bref, le seul débat qui vaille la peine d'être fait est le suivant: «De quelle monarchie voulons-nous?» Steyn, du reste, estime que les Canadiens républicains sont souvent ridicules. John Manley? «Un idiot.» Autre républicain risible aux yeux de Steyn: un dénommé Rebman, de Surrey, en Colombie-Britannique, qui a fait paraître une lettre aux lecteurs dans l'édition de lundi du Post: «La monarchie, affirmait-il, nous rappelle constamment le système théocratique totalitaire représentatif d'une ère médiévale.» Steyn répond: «Wow! Avec de telles connaissances historiques, M. Rebman pourrait être ministre de la Défense!» (Steyn fait ici allusion au ministre John McCallum, qui avait confondu Vimy et Vichy.)

Pour Jeffrey Simpson, du Globe, la monarchie est une institution solide, certes, mais elle dépend beaucoup de la personne qui la dirige. Autrement dit, elle risque d'être profondément remise en question au Canada lors du décès d'Elizabeth II. «Il est difficile d'imaginer que la popularité de la monarchie au Canada ne déclinera pas encore davantage lorsque Charles et Camilla remplaceront Elizabeth et Philip.»

En passant, après le séparatisme québécois, il semble bien que la chose que William Johnson déteste le plus au Canada, c'est la reine. Il publiait jeudi dans le Globe une chronique enlevée contre l'institution de la monarchie. Selon lui, il est grotesque, par exemple, que les parlementaires canadiens aient à prêter serment à la reine: «Ce type de serment vient directement du Moyen Âge», écrit «Pit Bill».

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La presse du ROC, nous avons souvent l'occasion de le souligner, compte toujours plus de débats sur les relations internationales que celle du Québec. Autre particularité: le nombre de chroniqueurs qui épousent les vues américaines. Lundi par exemple, Andrew Coyne, dans le National Post, s'en est pris au ministre Bill Graham sur un élément de l'argumentation du Canada, qui plaide contre une intervention unilatérale des États-Unis en Irak. Graham estime que cela serait créer un précédent nuisible en droit international que de laisser les États-Unis faire «cavalerie» seule (si nous pouvons nous permettre un «perronisme» de bon aloi). Réponse de Coyne: allons-nous agir avant que la bombe n'éclate ou «déciderons-nous que les préoccupations juridiques à propos de la souveraineté nationale l'emportent» sur les menaces terroristes?

Margaret Wente, dans le Globe and Mail, s'en prenait cette semaine à l'argument bien connu selon lequel «les enfants irakiens sont les victimes des États-Unis» en raison des sanctions économiques imposées au pays de Saddam Hussein. Un chiffre circule constamment: les sanctions auraient tué 500 000 enfants. Or, selon Wente, cette statistique est des plus douteuses. C'est l'UNICEF, en la reprenant à son compte, qui lui a donné sa crédibilité. Cependant, note Wente, cela ne garantit en rien sa fiabilité. À preuve, les résultats du travail d'investigation d'un expert irakien en exil, Amatzia Baram. Selon ce dernier, les cadavres d'enfants n'ont jamais fait l'objet d'un décompte en bonne et due forme. «Ce sont les autorités irakiennes qui ont inventé ce chiffre.» Comment ont-elles procédé? En prenant les prévisions démographiques pour l'année en cours, chiffre auquel elles ont soustrait la population de 1997. Elles ont ensuite pointé les sanctions pour la différence, sans vérifier si les chiffres correspondaient à quoi que ce soit de réel. Mais au dire de Wente, le fameux chiffre continuera de circuler puisque, en Occident, «Hussein, comme Staline en son temps, pourra toujours compter sur son lot d'idiots utiles».

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L'inquiétude principale du ROC, pendant 40 ans, fut la séparation du Québec. Depuis la Loi sur la clarté, les dernières élections fédérales et le 11 septembre 2001, la souveraineté semble avoir cédé le pas à l'américanisation comme phobie publique numéro 1. On est en quelque sorte passé de la peur de l'éclatement à la peur de l'«englobement».

Carol Goar, dans le Toronto Star de jeudi, racontait que le 7 septembre 2001, Stephen Clarkson, biographe de Trudeau, économiste et par ailleurs ancien mari de la gouverneure générale, avait envoyé à son éditeur le manuscrit de son dernier livre, Uncle Sam And US. Le matin de l'effondrement des tours jumelles, il a songé que son livre venait instantanément d'être rendu désuet. Un an plus tard, son sentiment est plutôt autre, voire inverse: «Il croit que la libéralisation des échanges dépouille les Canadiens du droit de faire leurs propres choix et de vivre selon leurs propres lois.» Les attentats terroristes d'il y a un an, selon Clarkson, n'ont fait qu'accentuer «des menaces qui existaient déjà».

Il perçoit deux menaces en particulier: une externe au Canada et l'autre interne. Clarkson, «comme la plupart des nationalistes», écrit la reporter, croit que les accords de libre-échange ont affaibli l'État à tout jamais. Il estime que les règles que les Canadiens se donnent sont d'inspiration américaine, lesquelles ont fini par «supplanter leurs propres valeurs, de même que la Charte des droit». Clarkson estime cependant que la menace interne est encore plus dommageable que la mondialisation. Et quelle est-elle? L'effet de «20 ans de conservatisme». Pendant cette période, «les États ont volontairement renoncé à leurs activités, aboli ou relâché les réglementations et réduit leur taille. Ce sont les Canadiens qui ont élu des politiciens qui ont promis de démanteler l'État-providence et de réduire les impôts». Il suffit d'avoir des yeux pour voir les conséquences de ces politiques, estime Clarkson: dans la rue, on risque de «trébucher sur les sans-abri».

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