Il y a 40 ans s'ouvrait le concile Vatican II - La Révolution tranquille québécoise a été très catholique
Le 11 octobre 1962, le pape Jean XXIII prononçait le discours d'ouverture du deuxième concile du Vatican. N'ayant pas encore 30 ans, je fais partie de cette génération qui n'a jamais connu d'autre Église que celle d'après Vatican II, ni d'autre société québécoise que celle issue de la Révolution tranquille.
L'analyse de l'événement conciliaire peut se faire sous bien des angles. Je choisis simplement ici de m'attarder un peu à sa signification pour l'histoire du Québec. Les travaux réalisés à l'Université Laval par le Groupe de recherche sur Vatican II et le Québec des années 60 nous permettent de mieux saisir la portée de ce concile dans notre contexte social, économique, politique, culturel et religieux (on peut prendre connaissance de la teneur de ces travaux sur le site www.ftsr.ulaval.ca/ftsr/vatican2/).Pour mon propos, je retiens seulement que Vatican II peut être lu et interprété comme le fruit de trois courants de pensée qui plongent leurs racines au XIXe siècle mais qui animent le catholicisme avec une vigueur particulière au sortir de la Deuxième Guerre mondiale. D'abord, le «mouvement liturgique» qui, par un retour aux sources patristiques et un renouvellement de la théologie sacramentaire ainsi que de l'intelligence de la ritualité, a conduit à la réforme liturgique, qui demeure l'effet le plus visible du concile pour la majorité des croyants.
Ensuite, le «mouvement biblique» qui, par l'apport considérable des sciences historiques et herméneutiques, a révolutionné la théologie et l'exégèse bibliques, de même que les connaissances relatives aux contextes de vie et de pensée propres aux premières communautés chrétiennes. Enfin, le «mouvement personnaliste» qui, en développant une nouvelle vision du monde et de l'engagement chrétien dans la société, a permis l'émergence d'une éthique de la responsabilité typiquement catholique dont les mouvements d'Action catholique furent l'incarnation achevée.
Un impact direct
C'est ce dernier «mouvement» qui retient particulièrement mon attention puisque son impact sur l'évolution de la société québécoise est direct. «Aux sources de cette utopie sociale, on retrouve l'espoir d'une spiritualité authentique du chrétien, la volonté d'un engagement intramondain, la foi dans une histoire qui révèle le grand dessein divin. [...] L'éthique personnaliste prône une conversion sentie de chaque personne à la tradition chrétienne et un engagement ouvert et généreux à l'égard du prochain. Pour les tenants de cette nouvelle éthique, les laïcs auraient un rôle central à jouer. Cette nouvelle utopie sociale trouvera de nombreux adeptes au Canada français [...].»
C'est ainsi que s'exprime Éric Bédard dans son introduction à l'ouvrage Sortir de la «Grande Noirceur» - L'horizon «personnaliste» de la Révolution tranquille (Septentrion, 2002, pages 14 et 15), un livre de E.-Martin Meunier et Jean-Philippe Warren. Cet ouvrage est la réédition d'un essai percutant, d'abord publié par les auteurs dans la revue Société (nos 20 et 21) à l'été 1999.
L'hypothèse interprétative qui traverse Sortir de la «Grande Noirceur» suggère que «l'utopie sociale mise en avant par une série de penseurs catholiques — et adoptée dans ses grandes lignes par Vatican II [...]» (page 16) fut une des sources majeures du projet de modernisation de la société québécoise de l'après-guerre. «Loin d'être une victoire de la Raison contre l'obscurantisme religieux, poursuit Éric Bédard, la Révolution tranquille apparaît ici en partie, dans son versant idéologique, comme l'aboutissement d'un long processus de transformations internes à l'Église» (page 17).
Il est urgent de permette ainsi à ma génération de revisiter l'histoire par-delà les poncifs éculés sur la Grande Noirceur. 40 ans après Vatican II, 40 ans après le début de la Révolution tranquille, il est intéressant de découvrir que le tournant des années 60 s'est peut-être moins fait en opposition à la religion que sur la base de l'humanisme chrétien le plus exigeant et grâce au ressort d'une conscience catholique renouvelée par son engagement pour la justice et pour la liberté responsable au sein de la société québécoise.
«Force mobilisatrice» dans une communauté culturelle et politique alors embourbée dans ses impasses, le personnalisme chrétien, tel que lu et interprété par les acteurs progressistes du Québec de l'époque, aurait été le ferment d'une émancipation sociopolitique qui passait par la construction d'une cité juste et libre, fondée sur un réel souci du prochain.
Dans un Québec où les figures montantes de la scène politique semblent nous proposer un «nouveau modèle» de société qui se résume en fait au «chacun pour soi, et que le diable emporte les autres», l'option fondamentale qui animait les protagonistes de la Révolution tranquille peut encore nous interpeller. Relire l'histoire dans la perspective de cette option du «souci pour les autres», loin d'être réactionnaire, misérabiliste ou nostalgique, pourrait plutôt permettre à ma génération de trouver ses propres ressorts spirituels et moraux pour motiver l'action politique au sein d'un présent désenchanté et incertain.
Dans ce monde fragile, au tissu social de plus en plus effiloché, ceux qui veulent nous tenir lieu de leaders apparaissent incapables de nous proposer autre chose que des gadgets néolibéraux comme la flat tax, les bons d'études ou les contrats de performance. Devant ce «ground zero» de la pensée politique où, pour certains, l'accès au système de santé se monnayerait au même titre que des Mercedes, les paroles du concile Vatican II résonnent avec une pertinence prophétique qui n'a pris aucune ride: «On peut légitimement penser que l'avenir est entre les mains de ceux qui auront su donner, aux générations de demain, des raisons de vivre et d'espérer» (Gaudium et Spes, no 31.3).