Libre opinion: Le bien-être des enfants, une responsabilité collective
Après bientôt 30 ans de luttes pour améliorer les conditions de vie de milliers de familles monoparentales et recomposées, la FAFMRQ a positivement accueilli le dépôt du projet de loi 112 visant à contrer la pauvreté et l'exclusion sociale.
Cependant, nous aurions aimé y voir des mesures concrètes et immédiates pour faire cesser la discrimination dont ces familles sont victimes. Cette loi, si elle était améliorée et adoptée avant les prochaines élections, pourrait, selon nous, améliorer le sort des plus démunis. Dans une société qui se dit égalitaire et civilisée, l'incapacité pour des centaines de milliers de citoyens de s'éduquer, de se loger, de se vêtir, de se soigner et de se nourrir décemment est inacceptable.Des milliers d'enfants privés de leur pension alimentaire
En dépit des victoires importantes remportées ces dernières années au chapitre de la pension alimentaire pour enfant (pour le ministère du Revenu, ces montants ne sont plus imposables depuis 1997), des dizaines de milliers d'enfants en sont toujours privés. En effet, dans le cas des familles prestataires de la sécurité du revenu (près de 15 000 d'entre elles déclaraient recevoir une pension alimentaire en juin 2002), le ministère de la Solidarité sociale récupère ce montant jusqu'à concurrence de 100 $ par mois si l'enfant a moins de cinq ans. En traitant ainsi la pension alimentaire, on compromet sérieusement les possibilités réelles pour les familles d'échapper à la misère.
Un autre ministère, celui de l'Éducation, met lui aussi des bâtons dans les roues des chefs de famille monoparentale qui tentent de s'en sortir en choisissant de parfaire leur éducation (il y en avait près de 6000 qui étaient bénéficiaires d'une aide financière aux études en 2000-01). Son programme de prêts et bourses considère la pension alimentaire comme un revenu du parent dans le calcul de l'aide financière accordée. Ainsi, le parent étudiant qui déclare recevoir une pension alimentaire pour son ou ses enfants verra ce montant déduit à 100 % alors que les revenus de travail ne sont déduits qu'à 50 %. Dans bien des cas, cette mesure a pour résultat de réduire considérablement les montants des prêts et bourses accordés, les rendant insuffisants pour couvrir les besoins essentiels de l'étudiante et de ses enfants.
Dans la peau de l'autre...
Bien sûr, il ne nous est pas donné tous les jours de réfléchir aux effets réels de la pauvreté sur les personnes. En dehors des campagnes de paniers de Noël, hautement médiatisées, on se fait une idée assez vague de la réalité des moins nantis d'entre nous. Et il y a aussi tous les préjugés qui ont la couenne passablement dure et qui sapent les bases mêmes de notre volonté d'agir contre la pauvreté. Celui, par exemple, qui laisse entendre que la pauvreté est un «mal nécessaire» dans un monde où la compétitivité économique oblige les gouvernements à sabrer de plus en plus dans les programmes sociaux afin d'éviter l'endettement. Celui aussi qui dit que la pauvreté est plus ou moins la faute de ceux et celles qui en sont atteints. «Quand on veut, on peut», entend-on parfois, et on va même jusqu'à prétendre que les personnes qui reçoivent une aide de dernier recours le font aux dépens des honnêtes contribuables qui, pour leur part, doivent donner des montants toujours plus élevés à l'impôt.
Les mères seules affichent des taux de pauvreté de beaucoup supérieurs à ceux des familles biparentales. Au Québec, plus de 54 % des familles monoparentales sont pauvres, et 45 % d'entre elles dépendent de la sécurité du revenu, une statistique qui atteint 74 % dans le cas des familles monoparentales qui comptent des enfants de moins de six ans. Quand on constate que 82 % des familles monoparentales sont dirigées par une femme, on peut en conclure que la monoparentalité demeure encore aujourd'hui, et ce, sans contredit, une réalité bien féminine qui entraîne son lot de difficultés et de misères.
Imaginez, ne serait-ce qu'un instant, que vous soyez une jeune mère monoparentale prestataire d'une aide de dernier recours. Disposant de revenus nettement insuffisants, vous n'auriez d'autre choix que de couper dans le «maigre» et d'établir la liste, par priorités, d'un ensemble de besoins qui devraient pourtant tous être jugés prioritaires. Que feriez-vous passer en premier si vous deviez choisir entre nourrir vos enfants, leur acheter des vêtements ou des fournitures scolaires, vous procurer des médicaments, payer le loyer, la facture d'électricité ou celle du téléphone? Difficile de trancher, n'est-ce pas? Pourtant, des dizaines de milliers de familles au Québec font face, mois après mois, à un tel déchirement.
Le rétablissement d'un régime universel d'allocations familiales, assorti d'une allocation supplémentaire pour les familles les plus démunies en fonction des besoins réels des enfants, permettrait également de s'assurer que chaque enfant du Québec ait de quoi se nourrir, se vêtir, se loger, se soigner et s'éduquer convenablement. Bien sûr, on pourra toujours arguer que ceux qui mettent des enfants au monde devraient être les premiers à répondre à leurs besoins, mais la société québécoise n'a-t-elle pas elle aussi le devoir d'assurer collectivement le bien-être de ses enfants? Les enfants sont l'avenir de la société. Travailler à éliminer la pauvreté des enfants, cela signifie travailler pour l'avenir du monde.