Enseignement des sciences humaines Haro sur l'inégalité

Les raisons d'être du nouveau programme de sciences humaines, comme celles de tous les programmes redéfinis dans les collèges, sont à chercher dans le sentiment général de l'école en crise. Les visées politiques sur l'éducation formulent cette crise en fonction d'exigences portant sur l'élévation du taux de réussite des élèves et, par voie de conséquence, sur le rendement des établissements scolaires qui dispensent l'éducation dans nos sociétés.

C'est dans ce verdict d'insuffisance de l'école que la réforme scolaire s'est mise en place, instituant de nouvelles règles de transmission des savoirs autour d'une formulation des cours en compétences disciplinaires et transversales. Pour le programme de sciences humaines, le changement de paradigme comme moyen d'assurer un meilleur enseignement circonscrit la problématique des difficultés scolaires autour de la manière d'enseigner, laissant ainsi dans l'ombre les conditions dans lesquelles l'enseignement dans ce programme s'effectue et les caractéristiques socioculturelles des élèves qui reçoivent cet enseignement. Les difficultés des élèves en sciences humaines reposent-elles principalement sur la manière d'effectuer la transmission des savoirs?

Dans les faits, les sciences humaines restent un refuge pour les élèves limités dans leur choix de programme par leurs dossiers scolaires faibles. Elles sont aussi, dans la logique du système scolaire collégial, le lieu de transit pour tous ceux qui sont sur les bancs de l'école en attente d'une perspective de travail. À cette double catégorie s'ajoutent les élèves qui ont choisi d'étudier dans les sciences humaines en projetant un avenir professionnel rattaché à ces formations. C'est dire comment ces derniers peinent à valoriser leur choix tant la diversité des raisons d'être dans ce programme est grande.

Nos sociétés n'ont pas réussi à réduire les inégalités devant l'école. Ce qui nous fait penser le contraire est le fait qu'elles sont désormais inscrites à l'intérieur de l'institution scolaire. La reproduction sociale qui s'opérait dans l'exclusion de l'école s'opère aujourd'hui à travers la distribution des élèves dans les programmes sélectifs et dans ceux qui ne le sont pas. La prolongation des études est pour un grand nombre une nécessité sociale nouvelle et non un choix personnel. C'est ainsi que la démotivation, le sentiment d'impuissance, une formation secondaire carencée, des échecs répétés, le refus d'inscription dans des programmes choisis, la désorientation et le décrochage sont les nouveaux marqueurs de l'inégalité des élèves dans le processus de mobilité sociale.

Le programme de sciences humaines reçoit beaucoup d'élèves définis par une histoire scolaire difficile. La logique qui a présidé à leur diplomation antérieure n'a pas toujours garanti les apprentissages nécessaires à la poursuite de leurs études. S'ils ne sont pas tous dans cette condition, leur nombre est suffisant dans ce programme pour obliger l'institution à tenir compte de cette spécificité. Un moyen connu pour assurer la réussite de ces élèves est d'organiser des classes à effectifs réduits, de mettre en place des conditions d'apprentissage favorables à la récupération du déficit culturel dont ces jeunes sont porteurs. Pourtant, les classes des élèves de sciences humaines sont bondées.

Que peut faire la rhétorique des compétences face aux inégalités des élèves devant l'école et face aux inégalités entre les programmes d'une même institution scolaire? Que peut-elle faire pour l'enseignant assigné à 160 élèves par semestre et dont la pluralité des dispositions intellectuelles va de l'illettrisme à la maîtrise brillante de l'analyse et de la synthèse? Le nouveau langage des compétences qui emprunte au monde du travail et reflète l'esprit de management qui organise les institutions scolaires nous demande d'ignorer le fossé existant entre la réalité de la classe et la gestion entrepreneuriale de l'école. Le renouveau dans le programme de sciences humaines est un exemple de changements opérés au mépris des conditions objectives dans lesquelles se vit l'enseignement.

Si les sciences humaines ont le mandat social implicite de favoriser la réussite scolaire du plus grand nombre d'élèves afin de résorber par les chiffres cette crise culturelle de l'école, il faut alors leur en donner les moyens. On exige des enseignants de ce programme qu'ils supportent isolément le poids social des inégalités des élèves devant l'école. Sans compter que pèse sur eux une lourde part de la responsabilité de hausser le taux de réussite au niveau collégial. L'inégalité devant la tâche dans l'enseignement devient ainsi un facteur de renforcement de l'inégalité des chances scolaires des élèves.

À voir en vidéo