Guerre civile en Irak

L'Irak présente actuellement tous les stigmates annonçant une prochaine guerre civile. Chaque camp forme des brigades, le nombre d'attentats va croissant, les quartiers et villages s'organisent en milices. Les autorités? Elles sont impuissantes.

Dans un mémo de la CIA coulé récemment dans la presse, les auteurs de celui-ci affirmaient que l'Irak était aux radicaux islamistes d'aujourd'hui ce que l'Afghanistan fut à ceux des années 1980. Soit un pays où affluent de l'étranger des milliers de djihadistes si déterminés à imposer leur loi qu'ils ont recours à tous les moyens, y compris la guerre civile. Jugeant leur cause sacrée, ne souffrant donc le moindre questionnement, ils combattent fanatiquement tout ce qui n'est pas conforme à leur conception obscurantiste du Coran.

Concrètement, cela s'est traduit récemment comme suit: à la guerre contre les croisés et les juifs déclenchée officiellement par Oussama ben Laden au milieu de la décennie antérieure, Moussab al-Zarqaoui a annoncé qu'elle s'étendait aux chiites, «aux apostats». De fait, le 5 juillet le chef d'al-Qaïda en Irak a mis sur pied la Brigade Omar chargée de tuer le maximum de chiites. Au cours des trois derniers jours seulement, 150 civils ont trouvé la mort dans divers attentats.

Impuissant à assurer la sécurité des civils, le gouvernement irakien vient de poser un geste qui en dit long sur la gravité de la situation actuelle. Le premier ministre Ibrahim al-Jafaari, un chiite, a conclu hier une visite historique en Iran. Mis à part un accord pétrolier qui irritera fort probablement la Maison-Blanche, les partis ont conclu une importante entente de coopération consacrée à la... stabilisation de l'Irak.

Selon cette entente, un groupe de coopération sera mis sur pied à court terme qui verra au partage des renseignements, à juguler les infiltrations de djihadistes étrangers, et qui prévoit surtout que l'Iran aidera à la stabilisation de l'Irak. Que les autorités irakiennes demandent à être épaulées par l'ennemi d'hier en dit long sur leur incapacité à mater les agissements de Zarqaoui tout en révélant une baisse de confiance en la capacité des forces américaines à pacifier le pays.

Conclue hier, la visite d'al-Jafaari symbolise surtout un rapprochement sans précédent dans l'histoire contemporaine des deux nations où les chiites sont majoritaires. Cela a d'ailleurs provoqué quelques grincements de dents. Ainsi le roi de Jordanie, un sunnite, a confié sa crainte de voir se former un croissant chiite allant de l'Iran au Liban en passant par l'Irak et la Syrie, où les chiites sont plus nombreux que les alouites qui dirigent le pays. Bref, la carte géopolitique de la région est appelée à être modifiée en profondeur.

Pour l'heure, en Irak, tous les groupes en présence s'arment comme jamais. Les sunnites pour contrer les chiites, les laïcs pour contrer les autres, les Irakiens pour contrer les étrangers, pendant que les Kurdes armés jusqu'aux dents veillent au grain. En un mot, la situation semble inextricable, comme le souhaitait Zarqaoui qui n'a rien d'autre à proposer que son affection de psychopathe pour la mort.

L'impasse dans laquelle est plongé l'Irak est aussi attribuable à la gestion bancale de tout le processus devant déboucher sur la présentation d'une nouvelle Constitution dans moins d'un mois. Les sunnites ont eu le tort, on le sait, de boycotter les élections de janvier dernier. Conséquemment, leur représentation au sein du gouvernement et du Parlement n'étant pas égale à leur poids démographique, leur influence sur les travaux constitutionnels est faible.

Après avoir dominé le pays pendant des décennies, ils craignent comme la peste d'être marginalisés comme jamais à la faveur de cette Constitution. Ils appréhendent surtout que la loi fondamentale s'articule en fonction de la conception chiite de l'islam. Selon certains experts, cette appréhension a beaucoup joué dans l'augmentation récente des tueries. En multipliant les attentats à la voiture piégée, les sunnites veulent prévenir les auteurs de la Constitution que toute imposition légale contraire à leur croyance se soldera par un bain de sang.

Faute d'avoir accepté les ajustements demandés par les sunnites au printemps dernier, le pays est en proie à une crise qui prélude à la guerre civile.

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