Le pit-bull du président
L'affaire Karl Rove, du nom du conseiller le plus écouté par le président Bush, est aussi étrange que lourde de conséquences. Journaliste proche des républicains, Robert Novack n'a jamais été inquiété par les autorités judiciaires même si c'est lui qui a dévoilé l'identité d'une agente de la CIA, Valerie Plame, par ailleurs mariée à Joseph Wilson, ce diplomate qui avait osé contredire l'administration Bush. Comment? Après avoir fait une enquête en Afrique, Wilson avait signé un texte paru dans le New York Times dans lequel il contredisait l'affirmation de Bush selon laquelle Saddam Hussein avait tenté de se procurer de l'uranium au Niger.
Novack, donc, est tranquille. Par contre, la journaliste du New York Times Judith Miller purge une peine de quatre mois dans un pénitencier pour avoir refusé d'identifier la source d'un article... qu'elle n'a jamais écrit! Quant à Matthew Cooper, grand reporter à Time Magazine, il a fini par donner satisfaction au procureur en lui remettant toute la documentation accumulée dans le cadre de l'histoire Plame. Résumons: celui qui a rédigé un texte se la coule douce tandis que ceux qui n'ont rien fait sont ennuyés par les autorités judiciaires. C'est l'aspect étrange de l'affaire.Pour ce qui des conséquences, les plus lourdes d'entre elles, tout un chacun aura compris que la liberté de presse vient d'être ébranlée. Tout le monde s'entend pour dire que les journalistes ne sont pas des citoyens au-dessus des lois. Dans un long éditorial consacré au sujet, le New York Times en convient. Cela étant, la direction du quotidien estime que les agissements du procureur chargé de cette affaire sont contraires au Premier Amendement de la Constitution, qui garantit la liberté de presse.
Maintenant, on se souviendra que lorsqu'on a évoqué la possibilité que l'informateur de Novack avait ses entrées à la Maison-Blanche, le président Bush s'était engagé à le démettre une fois son identité connue. On sait aujourd'hui qu'il s'agit de Karl Rove, grand architecte des victoires électorales de Bush. On doit préciser que toute divulgation du nom d'un agent de la CIA est considérée comme un crime aux États-Unis. De ce qu'on sait, pour l'instant du moins, Rove n'a jamais mentionné le nom de Valérie Plame. Par contre, la formulation employée permettait de l'identifier très facilement.
On sait également qu'en expert des basses oeuvres, Rove est passé maître en campagnes de salissage, en character assassination. Son placard est plein de cadavres d'anciens adversaires, démocrates et républicains, de son patron. Aux États-Unis, bien des gens ont la certitude que Rove, pour se venger, n'a rien trouvé de mieux que de donner le nom de Plame pour mieux déstabiliser son mari.
Depuis plusieurs jours, les démocrates demandent au président d'être fidèle à sa promesse. Pour l'heure, il fait la sourde oreille. Cela ne devrait pas durer.