Le dur défi de vieillir bien, ensemble

Tous les week-ends de l’été, l’équipe éditoriale propose une réflexion sur les enjeux qui façonneront notre monde dans les prochaines années. Des défis individuels et collectifs nous interpelleront sans cesse sur ces questions de société que nous aborderons sous l’angle des solutions, dans la mesure du possible. Aujourd’hui : le vieillissement.

Il y a longtemps que le Québec se prépare à un « tsunami gris ». La charge apocalyptique de cette métaphore devenue courante concentre une idée dominante dans nos sociétés où vieillir n’est pas qu’un fardeau, mais une menace. Il n’y a rien de bon à tirer de cette détestation sourde, qui nous enferme collectivement dans une dynamique de fatalité.

L’édition 2023 du bilan démographique du Québec montre que la part des 65 ans et plus a, pour la première fois, dépassé celle des moins de 20 ans (20,8 % contre 20,6 %). À ce jeu du balancier générationnel, le Québec devance le Canada. Il est cependant distancé par le Japon (30 %) et l’Italie (24 %), dont il doit s’inspirer davantage. Car le temps presse. En 2031, un Québécois sur quatre aura 65 ans ou plus ; en 2066, ils seront 27 %.

Avec un réseau de la santé aussi mal en point, personne ne doute que la suite sera difficile. Chacun sait que la pression va s’accentuer sur nos services sociaux, nos entreprises, nos commerces, nos villes, nos réseaux familiaux, alouette. Le vieillissement est un immense défi : humain, économique, sociétal, éthique. Il est surtout inéluctable. C’est pourquoi il faut changer le regard qu’on porte sur lui afin d’en faire un actif à préserver et à faire fructifier le plus longtemps possible, comme le veut l’heureuse formule du Réseau québécois de recherche sur le vieillissement.

Ce dernier ne prêche pas complètement dans le désert. Tous les ordres de gouvernement réfléchissent ardemment à ce défi. Mais leurs visions restent fragmentées, utilitaires. Certes, d’excellentes propositions ont été mises en branle dans la foulée de la consultation publique sur les conditions de vie des aînés en 2007. Il est tout de même frappant de constater que nous avons fait du surplace sur deux points cruciaux. L’irrespect à l’endroit de ceux pour qui le temps d’avant ne se rattrape guère, d’abord. Leur isolement, plus ou moins forcé, ensuite.

La solitude est en forte croissance sur la planète. La Suède et le Japon ont désormais des fonds destinés à ce mal sociétal. Si la solitude frappe plus durement les gens à l’hiver de leur vie, elle n’épargne pas ceux qui n’en sont qu’au printemps. Au Royaume-Uni, dans un bel élan intergénérationnel, on a donc créé un ministère de la Solitude, qui a pour mission de trouver des solutions à cette épidémie silencieuse. Certaines d’entre elles ont permis de jeter des ponts entre plus jeunes et plus vieux. Le Québec, qui fait face au même phénomène, pourrait en faire autant.

Il faudra bien se résoudre un jour à faire aussi le nécessaire pour contrer l’effacement dont sont victimes certaines cohortes de notre société tissée serrée, spécialement celles qui prennent de l’âge. Écartées de nos productions culturelles, celles-ci voient leurs voix s’atténuer, leurs trajectoires professionnelles être contrariées, leur insécurité financière croître, leur isolement s’exacerber. Tout cela porte un nom, l’âgisme.

Or, la science est formelle, l’âgisme a de lourdes conséquences sur la santé physique et mentale de ceux qui en font les frais. Il est pourtant aisé d’agir concrètement sur tous ces fronts sans trop se fatiguer. Heureux hasard du calendrier, la consultation publique en prévision du dépoussiérage de la politique gouvernementale Vieillir et vivre ensemble a pris fin vendredi. Espérons que la ministre responsable des Aînés y trouvera du grain à moudre, et le bon.

L’heure est à la stratégie gouvernementale tous azimuts pour assurer une vieillesse citoyenne en santé. Rien en deçà de cela ne sera à la hauteur du défi qui nous attend. Car c’est bien là qu’il faut agir en priorité. Devant ce qu’on nous présente comme le péril gris, l’accent est souvent mis sur l’immigration. Pourtant, une étude du C.D. Howe ne lui accorde qu’un effet marginal. La participation accrue des travailleurs et bénévoles de 60 ans et plus, comme au Japon, est, à son avis, le moyen le plus susceptible de réduire les effets du vieillissement sur le marché du travail et les finances publiques.

Mais pour cela, il faut des cohortes en santé, entourées de bienveillance, en pleine possession de leurs moyens et à qui on accorde tout le crédit qu’elles méritent. Hélas, on minimise encore tout ce qui peut être fait en amont et autour pour nourrir cet idéal. Parce que c’est cher, parce que ça mobilise des forces vives qu’on préfère utiliser autrement ou ailleurs. Seulement, tant et aussi longtemps qu’on envisagera la vieillesse comme quelque chose à corriger ou, pire, à effacer, on n’y arrivera pas.

Combattre le vieillissement est improductif. Ce qu’il faut, c’est l’accompagner, à son rythme, à son image et selon ses envies dans une perspective beaucoup plus large. Tous les ministères ont le devoir de prendre ce défi à bras-le-corps. Au Québec, on sait déjà qu’on a le droit d’aspirer à vivre et à mourir dignement. Il est temps d’ajouter à ces évidences le droit de prendre de l’âge dignement.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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