La sobriété, une mesure essentielle pour sauver la planète
Tous les week-ends de l’été, l’équipe éditoriale du Devoir vous propose une réflexion sur les enjeux de société qui façonneront notre monde dans les prochaines années. Des défis individuels et collectifs nous interpelleront sans cesse sur ces questions que nous aborderons sous l’angle des solutions, dans la mesure du possible. Aujourd’hui : l’environnement.
Il y a cinq ans, en août 2018, une jeune fille lançait un mouvement de grève pour le climat dans son école. Elle appelait au débrayage pour forcer les élites à se mobiliser dans la lutte contre les changements climatiques. Elle a inspiré des centaines de milliers de jeunes à faire entendre leur voix.
En 2018, bien des parents et des directions d’école, au primaire et au secondaire, ont dû trouver le point d’équilibre entre les valeurs d’assiduité scolaire et de participation citoyenne. Greta Thunberg a mobilisé sa génération comme peu d’activistes avant elle, en dépit des attaques perfides de la droite et des négationnistes du réchauffement climatique. Elle a été reçue dans les plus prestigieux cercles décisionnels du monde. Sa venue à Montréal, en 2019, a mobilisé des centaines de milliers de personnes. Son « How dare you », lancé à la face de notre indifférence à la COP24, en 2018, restera un mème de notre époque.
Où en est Greta Thunberg aujourd’hui ? On l’arrête et on la condamne à une amende pour refus d’obtempérer, après qu’elle eut bloqué un port pour protester contre l’usage des combustibles fossiles, à Malmö en Suède. Sa génération, qui a cru naïvement que les marches pour le climat dicteraient le pas des changements en accéléré, en est quitte pour gérer son écoanxiété comme elle le peut.
La planète brûle, suffoque, fond et coule en même temps, et ce n’est que le début. Il n’y a qu’à regarder par la fenêtre pour mesurer de plus près les conséquences des changements climatiques. C’est la tornade à Mirabel, l’inondation à Joliette. C’est l’évacuation de Lebel-sur-Quévillon pour cause de feux de forêt, le smog un peu partout. À travers le monde, c’est la Grèce qui brûle, Phoenix qui arrête la construction domiciliaire faute d’eau potable pour alimenter de nouveaux quartiers arrachés au désert. C’est la biodiversité qui est menacée, les migrations à l’issue incertaine des réfugiés climatiques qui laissent tout derrière pour rebâtir leur vie dans un ailleurs inconnu.
Et pourtant, yes we dare ! Remblayer les milieux humides. S’acheter toujours plus de VUS. Bouder le transport collectif. Empiéter sur les terres agricoles. Subventionner la « bonne » énergie fossile. Renchérir sur l’usage des pesticides. Chipoter sur les détails quand l’urgence climatique bouscule notre confort et qu’elle exige des changements de nos habitudes.
Demandez à vos enfants, vos nièces et vos neveux comment ils envisagent l’avenir. Demandez-leur comment ils jugeront les générations passées, et celle qui, aujourd’hui aux commandes, avance trop lentement. Nous leur retirons l’espoir d’un monde meilleur à chaque degré qui monte et qui nous éloigne de l’objectif de contenir le réchauffement climatique en dessous du seuil viable de +1,5 degré Celsius. Les gouvernements et les entreprises qui retardent leur virage vers la décarbonation paieront cher, en coûts d’adaptation aux changements climatiques, en pertes humaines et économiques et en dissolution du lien de confiance de la population envers des institutions qui auront failli au plus grand défi de l’humanité : assurer son salut.
Faut-il abandonner pour autant ? Que non ! Le fatalisme et le cynisme de ceux qui ont baissé les bras n’ont pas leur place dans l’action climatique. Des solutions concrètes existent, comme en atteste le plus récent rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). L’enjeu immédiat de notre époque, au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde, consiste à recadrer l’action pour que le scénario le plus optimiste du GIEC (un monde axé sur la durabilité) se matérialise.
La protection de l’environnement et des écosystèmes doit devenir la priorité dans l’élaboration des politiques publiques et les politiques de responsabilité sociale des entreprises, au lieu d’être envisagée dans le sillage du virage énergétique et de l’économie verte. Des mesures axées sur le concept de sobriété, visant à réduire la demande d’énergie, de matériaux, de biens et de ressources, constituent des incontournables pour reprendre l’initiative dans la lutte contre les changements climatiques.
Pour y parvenir, les économies libérales et les démocraties, seuls systèmes que l’on dit réformables de l’intérieur, devront inventer des indicateurs économiques permettant de mesurer la croissance et la prospérité au-delà de la mesure du PIB, en intégrant aussi le bien-être et la santé collective dans le calcul de la richesse.
Le réchauffement climatique pose déjà des enjeux de vie ou de mort qui gagneront en intensité. Aussi devrons-nous envisager la crise comme une responsabilité collective et mondiale de santé publique, une idée avancée entre autres par les Dres Claudel Pétrin-Desrosiers et Anne-Sara Briand, dans L’État du Québec 2022. Il s’agit là d’une occasion supplémentaire de mobilisation, car jusqu’ici les rapports alarmants du GIEC et la couverture médiatique de plus en plus soutenue de l’environnement ne suffisent pas à faire bouger le mercure dans le sens souhaité pour notre survie.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.