Pourquoi une immigrante parlant très bien le français échoue à répétition ses tests?
Dans la vidéo du Devoir, Grace expose depuis deux minutes son drame d’immigrante toujours en attente de sa résidente permanente pour cause de français inacceptable. Trois fois, elle fut recalée aux examens de compréhension et d’expression orales exigés du Québec. Pourtant, la jeune femme originaire du Cameroun qui s’exprime devant son auditoire est on ne peut plus éloquente : choix de mots pertinents, excellente structure grammaticale, débit impeccable. Tout au plus un charmant accent qui chante, traduisant le fait qu’à sa naissance, elle parlait l’anglais au Cameroun.
L’histoire de Grace illustre à merveille les aberrations de notre système. Espérons qu’elles seront corrigées par la nouvelle réforme lancée par la ministre de l’Immigration, Christine Fréchette. Grace est arrivée en 2019 au Québec avec en main un statut de travailleuse temporaire en agriculture. La Camerounaise, aujourd’hui âgée de 30 ans, a travaillé dans le secteur de la santé pendant la pandémie, en prenant soin de personnes âgées. Le tout, exclusivement en français, une exigence d’embauche. « Je parle français, mais ça a été pour moi le plus grand obstacle ici, au Québec », relate-t-elle. Il faut se pincer pour y croire : alors que la pénurie de main-d’oeuvre frappe durement le marché du travail québécois, voilà que les absurdités de notre système nous mettent à risque de perdre des atouts précieux comme Grace. Elle a songé à partir pour l’Alberta, où l’accès à la résidence permanente ne s’apparente pas à une course à obstacles, mais elle s’est ravisée.
Le plus absurde dans cette histoire reste que l’administration, la fabrication et l’évaluation des tests auxquels Grace a échoués à trois reprises se font depuis… Paris. Avec douceur, Grace en dénonce le caractère étonnant : « Comme je suis au Québec, je m’attendais à écouter l’accent québécois. J’étais vraiment étonnée quand je me suis rendu compte que c’était l’accent français. » Ses résultats lui sont expédiés depuis Paris. Pour obtenir des statistiques sur les résultats globaux à ces évaluations, notre reporter a dû s’adresser à la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Île-de-France. On voudrait inventer ce non-sens, dénoncé depuis des lustres, qu’on ne le pourrait pas.
Québec promet de moduler les attentes en fonction des emplois occupés et d’abaisser le niveau d’exigence pour les emplois moins spécialisés comme celui de Grace, préposé aux bénéficiaires, ce qui devrait lui permettre de réussir son test la prochaine fois. Si elle n’a pas baissé les bras d’ici là.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.