La suffocation par le plastique
Les chiffres font foi de tout : la production mondiale de plastique a doublé entre 2000 et 2020 pour atteindre 460 millions de tonnes par an. Le suremballage en est l’un des principaux vecteurs, défendu bec et ongles par l’industrie pétrochimique. Et c’est une économie dans laquelle les objets à usage unique — emballages, ustensiles, verres, lingettes… — connaissent la croissance la plus forte, constituant aujourd’hui 40 % d’une production mondiale qui triplera à l’horizon de 2060 si rien n’est fait.
Résultat : la catastrophe remplit nos poubelles, s’étale sous nos regards loin d’être assez scandalisés sur les rayons de nos supermarchés. À l’autre bout de la chaîne, cela débouche sur 350 millions de déchets plastiques par an ou « l’équivalent d’un camion rempli de déchets plastiques jeté dans l’océan chaque minute », pour reprendre l’image employée par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). À l’échelle mondiale, à peine 10 % de ces déchets sont recyclés. La proportion est à peu près la même au Québec, où la gestion des déchets souffre partout d’importantes lacunes.
L’industrie des plastiques se comporte en fait comme si l’évidence que la planète s’en va à vau-l’eau sur le plan écologique ne la concernait pas, alors que la pollution qu’elle provoque a des impacts environnementaux, climatiques, alimentaires, sanitaires… Elle se comporte comme si son plan d’affaires revenait à vouloir emballer hygiéniquement la planète dans un sac à ordures.
La conférence qui se tient cette semaine à Paris sous l’égide de l’UNESCO, réunissant 2500 délégués de 175 pays, tente de s’attaquer au problème. L’effort est inédit pour ce dont la communauté internationale essaie enfin de prendre le taureau par les cornes. Sur papier, l’objectif est très ambitieux : parvenir avant la fin de 2024 à la conclusion d’un traité international contraignant, permettant, dans le meilleur des mondes, de « mettre fin à la pollution plastique » d’ici 2040.
Tout passe forcément par une réduction de la production de plastique et, donc, par une réduction du recours à l’exploitation des énergies fossiles sur laquelle repose cette production. Développer l’économie circulaire, faire obstacle au poison sournois des microplastiques qui polluent l’air, l’eau et le sol… Tout y passe dans le cadre de cette conférence, s’agissant y compris de s’attaquer au défi des 7 milliards de tonnes de déchets empilés depuis les années 1950. À appliquer la règle des 4R (réduire, réutiliser, réparer et recycler), plaide le PNUE, la pollution plastique pourrait être réduite de 80 % d’ici 25 ans.
Bonne chance ! Parce que, là encore forcément, le lobby du plastique monte partout aux barricades. D’une part, les États-Unis, premier consommateur mondial de plastique, et la Chine, premier producteur, sont unis dans leur opposition à un traité contraignant, campant sur l’approche volontaire. De l’autre, il y a qu’en ces temps de « transition écologique », la production de plastique ouvre la possibilité aux pays producteurs de pétrole et de gaz à commencer par l’Arabie saoudite, de nouvelles perspectives d’affaires auxquelles ils ne voudront pas renoncer. Et c’est ainsi que, fin 2022, la multinationale saoudienne Saudi Aramco a annoncé un investissement de 11 milliards $US pour la construction de deux usines de production de polyéthylène, le plastique le plus courant.
En France, aux États-Unis, au Canada, au Québec et à Montréal, on fait des efforts, à géométrie variable, pour lutter contre cette partie du problème qu’est le fléau du plastique à usage unique. Mais ce sont des efforts très insuffisants au regard des questions de fond soulevées cette semaine à Paris. Prétendant, au demeurant, s’engager dans la lutte contre la pollution plastique dans tous ses aspects, Ottawa fait face à une vive résistance de la part d’entreprises pétrochimiques, comme Dow Chemical, et d’une province pétrolière, comme l’Alberta, dont il peut moins que jamais espérer la collaboration avec l’élection, lundi soir, de la conservatrice pure et dure Danielle Smith comme première ministre.
Évidemment que la lutte contre le réchauffement climatique, dont la croissance tous azimuts de la pollution plastique est une dimension primordiale, implique des changements catégoriques de comportements consommateurs à l’échelle individuelle. Au jour le jour, on négocie avec soi-même des négligences qui reviennent souvent à du « greenwashing » à petites doses. Rien pour autant ne peut vraiment changer sans volonté politique, étatique et collective autrement moins ambivalente et plus affirmée. De tous les mensonges à déconstruire dans la lutte contre le dérèglement climatique, il n’y en a pas de plus flagrant que celui-ci : s’imaginer que cette lutte existentielle peut faire l’économie d’une remise en cause de la logique du profit et de la croissance capitaliste.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.