Le droit d’apprendre le français
Le gouvernement Legault vient d’annoncer la mise sur pied de Francisation Québec à compter du 1er juin, comme le prévoit la loi 96 — la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français. Il s’agit d’un guichet unique réunissant tous les services de francisation, services qui sont appelés à se diversifier.
En vertu de cette même loi, ce ne sont plus seulement les immigrants arrivés depuis cinq ans ou moins qui ont droit à des cours de français gratuits, mais toute personne domiciliée au Québec, que ce soient les Canadiens anglais unilingues ou les travailleurs étrangers temporaires, dont on sait qu’une proportion importante ne parle pas français. Exception est évidemment faite pour les enfants d’âge scolaire, qui, eux, sont pris en charge par l’école.
Une attention particulière sera apportée aux formations offertes dans les milieux de travail, parent pauvre de l’offre de francisation. En outre, on a prévu des activités d’initiation à la langue française pour les enfants d’âge préscolaire.
Depuis le rapport dévastateur de la vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, en 2017, sur le programme de francisation du ministère de l’Immigration sous les libéraux, le gouvernement Legault a haussé substantiellement les sommes affectées à cette mission. Ainsi, le budget des services de francisation est passé de 94 millions à l’arrivée au pouvoir de la Coalition avenir Québec à 218 millions. En 2023-2024, l’augmentation a été de 17 % par rapport à l’année précédente.
Lors d’une conférence de presse lundi, la ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Christine Fréchette, qui était accompagnée du ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, a signalé que la francisation connaissait un « engouement ». Ainsi, le nombre de personnes inscrites à un cours pour apprendre le français a augmenté de 16 % en 2021-2022, et d’un autre 25 % l’an dernier, pour atteindre 47 000. Ce sont les cours à temps partiel qui ont la cote. La rareté des enseignants, que cet « engouement » ne manquera pas d’exacerber, ne semble pas inquiéter la ministre.
En 2017, la vérificatrice générale avait constaté que moins du tiers des nouveaux arrivants qui ne connaissaient pas le français s’inscrivaient à des cours de francisation, et que les taux d’échec ou d’abandon étaient catastrophiques. Elle relevait un manque d’uniformité entre les formations fournies par les professeurs du ministère dans des locaux de groupes communautaires, celles prodiguées par le réseau scolaire et les cours qui transitaient par le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale. Suivre les cours du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) donne droit à une aide financière, tandis que le même immigrant qui étudie dans le réseau scolaire en est privé.
Ainsi, l’offre de services de francisation est toujours à géométrie variable. Bien malgré elle, la ministre Fréchette a illustré ces disparités quand la journaliste du Devoir l’a questionnée sur les délais d’attente affectant la francisation. Cinquante jours ouvrables, a-t-elle répondu, alors que les délais sont beaucoup plus longs dans le réseau scolaire, selon ce que rapporte le milieu.
Attendue depuis longtemps, la mise sur pied de ce guichet unique peut permettre d’harmoniser les services de francisation et d’éliminer les iniquités. Qui plus est, cette harmonisation doit permettre aux autorités de colliger des données uniformes afin de dresser un état de la situation et d’évaluer les résultats. En raison des divers chemins qui mènent à la francisation, le MIFI n’a pas de portrait d’ensemble et ne peut juger de l’efficacité du programme, pas plus aujourd’hui qu’au moment du dépôt du rapport de la vérificatrice générale il y a six ans.
Un des objectifs majeurs de cette nouvelle structure centralisée, c’est de développer l’offre de francisation en entreprise, qui est certainement l’une des meilleures façons pour les travailleurs immigrants ou les travailleurs anglophones d’apprendre le français ou de parfaire leur maîtrise.
À ce chapitre, Francisation Québec « expérimentera » différents scénarios d’ici le 1er novembre. On concevra des « activités d’initiation au français » pour les petites entreprises — les dépanneurs et autres petits commerces, par exemple. On mettra sur pied des formations courtes données pendant les heures rémunérées afin que les travailleurs puissent comprendre les consignes en français qui leur sont destinées. Enfin, on pense à des cours de francisation, disons, classiques de 300 heures qui « assureront une progression mesurable des niveaux de compétence langagière », peut-on lire dans le communiqué diffusé par le cabinet de la ministre.
Si on parle ici de progression « mesurable », c’est que le MIFI pourra se satisfaire de résultats qui ne le sont pas. Le droit d’apprendre le français, c’est aussi le droit de l’apprendre à son rythme, doit-on comprendre. Aussi, la ministre devra nous dire de quelle façon elle entend évaluer la performance de la nouvelle entité.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.