L’effet d’entraînement

C’est tout un revirement de la part de la Coalition avenir Québec. Après avoir réduit le seuil d’immigration à 40 000 en 2018 — « En prendre moins pour en prendre soin », scandaient les caquistes — puis avoir fixé ce seuil à 50 000 lors de la dernière campagne électorale — ce serait « suicidaire » d’en prendre plus, disait François Legault —, voilà que la Planification de l’immigration pour 2024-2027, qui fera l’objet de consultations plus tard cette année, propose un scénario qui pousserait le nombre d’immigrants admis à près de 70 000 par an d’ici trois ans.

L’augmentation porterait sur les immigrants que sélectionne Québec, essentiellement les travailleurs qualifiés, tandis que dans les autres catégories d’immigrants — regroupement familial et réfugiés — les nombres resteraient stables pendant la période. La part de la sélection québécoise passerait ainsi de 72 % à 77 %. En fait, le seuil passerait graduellement à 60 000 en 2027. À ce nombre s’ajouteraient les étudiants étrangers francophones issus du Programme de l’expérience québécoise (PEQ).

Le relèvement des seuils s’accompagne d’une réforme réglementaire. Désormais, pour l’immigration dite économique, la connaissance du français — niveau intermédiaire avancé et un peu moins pour les travailleurs peu qualifiés — est une condition d’admission sine qua non. Auparavant, des travailleurs qui ne parlaient pas français mais dont les qualifications étaient très recherchées pouvaient obtenir suffisamment de points dans la grille de sélection pour qu’on leur ouvre les portes.

Autre changement majeur : le gouvernement Legault renie la réforme du Programme d’expérience québécoise (PEQ), du moins pour le volet étudiants, que l’ancien titulaire de l’Immigration Simon Jolin-Barrette avait mise en place. Pour les étudiants étrangers qui ont en main un diplôme du Québec, plus besoin d’avoir acquis une expérience de travail et d’occuper un emploi avant de se prévaloir de cette voie rapide et automatique pour s’établir au Québec. Le PEQ ne sera toutefois offert qu’aux candidats qui ont obtenu un diplôme dans un programme en français ou encore aux francophones qui ont étudié dans leur langue avant d’arriver au Québec, les Français qui étudient à McGill en étant l’exemple type.

Les restrictions apportées au PEQ ont réduit considérablement le nombre d’étudiants étrangers qui émigrent au Québec. Il y a tout lieu de croire qu’on retrouvera le même niveau qu’avant leur application, soit 8000 étudiants, et peut être davantage. Il n’y a aucune limite quant à leur nombre.

Sans tenir compte de ces étudiants francophones, l’exigence généralisée de la connaissance du français fera grimper de 71 % en 2019 à 96 % en 2026 la proportion des requérants de l’immigration économique qui parlent la langue commune. Toutes catégories confondues, la proportion des immigrants parlant français passerait de 67 % à 72 % en 2027.

Le gouvernement Legault projette donc d’augmenter de façon significative le nombre d’immigrants admis, mais cette hausse, au lieu de contribuer au recul du français, aura pour but de renforcer sa présence. D’une façon générale,l’effet de l’immigration sur la situation du français au Québec est toutefois négligeable, comme l’a montré une étude de l’Office québécois de la langue française : c’est mathématique. En revanche, on peut s’attendre à ce qu’une telle sélection des immigrants ait un effet bénéfique sur la capacité d’intégration de la société québécoise.

Il n’est pas sans ironie de voir le gouvernement Legault proposer des seuils qui ne sont guère différents des engagements électoraux du Parti libéral du Québec — 70 000 — et de Québec solidaire — de 60 000 à 80 000.

À l’heure actuelle, la pression n’a jamais été aussi grande pour que le Québec accueille davantage d’immigrants, notamment de la part des employeurs. Dans les circonstances, choisir des immigrants qui parlent français, dont ces étudiants africains qu’Ottawa persiste à discriminer, s’impose.

La réforme Fréchette, appelons-la ainsi, occulte toute la question des travailleurs étrangers temporaires, notamment le Programme de mobilité internationale (PMI) que le gouvernement fédéral considère comme sa chasse gardée. Près de 75 000 de ces travailleurs du PMI se retrouvent sur le territoire québécois sans que le gouvernement québécois ait son mot à dire et sans qu’il sache qui ils sont. Comme ça se voit au Canada anglais, l’afflux de ces travailleurs dits temporaires mais qui occupent souvent des emplois permanents a pour corollaire, dans un contexte de rareté de la main-d’oeuvre, la hausse des seuils d’immigration. C’est un effet d’entraînement.

François Legault a dit qu’il y aurait une deuxième étape à la présente réforme, qui viserait les travailleurs temporaires. C’est une étape essentielle pour que le Québec reprenne le contrôle de son immigration. Or cela dépend du bon vouloir d’Ottawa, qui ne semble guère disposé à lâcher le morceau.

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