Ron DeSantis, Trump+
Sous le chapiteau du cirque politique qu’est aujourd’hui le Parti républicain, Ron DeSantis est allé faire son numéro mercredi soir sur Twitter pour officialiser sa candidature en vue de la présidentielle américaine de 2024. Et il l’a raté, pour cause de bogues techniques.
À se coller au multimilliardaire libertarien Elon Musk, proprio du réseau Twitter devenu nouveau repère de l’ultradroite, DeSantis espérait que cela donnerait à sa candidature le supplément d’éclat dont les sondages disent qu’il a bien besoin pour remonter la pente face à Donald Trump. La fusée a eu du mal à décoller.
Prise 2 en entrevue une heure plus tard sur les ondes de Fox News. On a pu prendre là toute la mesure du gouverneur de la Floride, qui a martelé avec la froideur d’un robot ses positions « antiwokes », antiavortements, anti-immigrations, propeines de mort et proarmes. À ses positions réactionnaires et intolérantes se résume le « gros bon sens » qu’il dit défendre contre les « idéologues » de la gauche. Si Trump ne s’affiche en conservateur que par pur intérêt personnel, DeSantis, lui, l’est par conviction intime, ce qui le rend d’autant plus effrayant. Telle est la dérive du Parti républicain : pour le moment du moins, le principal candidat susceptible de contrecarrer la réinvestiture de l’ex-président est encore plus à droite que lui.
Trump, pour l’heure, prend une longue tête d’avance sur DeSantis dans la course à l’investiture : environ 30 points de pourcentage. Son emprise sur la conscience militante reste dominante en même temps qu’elle est déroutante : une majorité de républicains croient toujours que la présidentielle de 2020 lui a été volée.
Porté par sa réélection massive en Floride en novembre dernier, DeSantis s’affiche en « Trump moins le chaos ». Il entre en campagne en défendant jusqu’à l’absurde des positions ultraconservatrices qui pourraient lui être utiles contre Trump, en particulier auprès de l’électorat évangélique. Mais elles rendent difficile à penser qu’il arriverait avec le même argumentaire à rallier à l’échelle nationale les électeurs centristes qui font la différence entre une victoire et une défaite. Pour M. DeSantis, le défi tient de la quadrature du cercle : parvenir à s’opposer à l’ex-président sans tourner le dos à ses partisans, qui lui vouent un véritable culte.
Cela dit, il reste à couler sous les ponts politiques américains 17 longs mois avant la présidentielle et les législatives de novembre 2024. Dix-sept mois pendant lesquels les démêlées judiciaires de M. Trump vont s’accumuler. Se poursuivent les deux enquêtes du procureur spécial Jack Smith : la première sur le rôle de Trump dans l’insurrection du 6 janvier 2021 au Capitole ; la seconde au sujet des archives qu’il a emportées dans ses bagages à Mar-a-Lago. Une autre est toujours en cours autour de sa tentative de faire renverser les résultats de la présidentielle de 2020 en Géorgie. Et on vient d’apprendre que son procès dans l’affaire de l’actrice porno Stormy Daniels va commencer le 25 mars prochain, en pleine saison des primaires. Qu’il rallie sa base autour du spectacle de sa victimisation est une chose. Qu’une majorité de l’électorat continue de le trouver malgré tout présidentiable en est une autre.
Il y a ensuite que DeSantis, jeune politicien de 44 ans, n’est pas sans moyens. Populiste bon teint, il aime s’en prendre à la « grande entreprise » — sa bataille contre Disney en est emblématique —, tout en bénéficiant du soutien de donateurs ultrariches. Il aurait déjà accumulé un trésor de guerre de quelque 100 millions de dollars américains, et son équipe de campagne a bâti une machine électorale qui sera à pied d’oeuvre dans plusieurs États à la fin de l’été.
Que DeSantis devienne le candidat républicain à la présidence et la recette politique qu’il a appliquée en Floride seraient-ils reproductibles à l’échelle nationale ? La réponse est spontanément non, à regarder ce catholique pratiquant prendre le contre-pied de l’opinion publique sur une question aussi fondamentale et mobilisatrice que le droit à l’avortement. Mais encore…
Sa victoire de novembre dernier, M. DeSantis la doit à son image d’homme-qui-agit face à un rival démocrate, Charlie Crist, qui était plutôt faible. Plus important, il la doit, pour s’être opposé à l’application de mesures contraignantes pendant la pandémie, à sa défense des libertés individuelles et économiques, valeurs américaines sacro-saintes. Telle a été l’ampleur de sa victoire (57 % contre 42 %) qui l’a porté jusque dans le château fort démocrate de Miami-Dade. La Floride était un État pivot ; elle est aujourd’hui résolument républicaine. Ce qui n’est pas sans portée, sachant que le Sunshine State pèse lourd dans une présidentielle.
Le système électoral américain étant ce qu’il est, tout peut arriver, n’est-ce pas ? Face à un Parti républicain qui déraille, ce qui est électoralement utile à Joe Biden, ce dernier va ainsi continuer de jouer la carte de la « normalité », en naviguant au centre et un peu gauche, là où flotte la planche de salut de la démocratie américaine.