Le rapport Johnston ne suffit pas pour rétablir la confiance
Contre toute attente, le rapporteur spécial David Johnston défie le quasi-consensus en faveur d’une enquête publique sur l’ingérence étrangère dans le processus électoral canadien et demande plutôt à la population de le croire sur parole : non, une telle enquête ne permettrait pas de tirer plus de matière que ce que lui-même a été en mesure de récolter. Circulez ! Il n’y a rien à voir !
Depuis les révélations des derniers mois de Global News et du Globe and Mail, le dossier de l’ingérence étrangère s’est enlisé dans une joute partisane qui, il faut bien l’avouer, a élimé le regard objectif de nombre d’observateurs et d’acteurs importants de ce combat, qui continueront de réclamer une enquête publique à cor et à cri, peu importe la qualité d’analyse procurée par l’ex-gouverneur général David Johnston. Sans attaquer ni la rigueur de son travail ni sa probité intellectuelle, que d’aucuns lui accordent d’emblée, on peut toutefois maintenir que le rapport de M. Johnston ne sera pas suffisant pour atteindre l’objectif qu’il s’était fixé, soit rétablir la confiance du public dans les institutions gouvernementales.
Au moins deux raisons importantes militent en faveur d’une commission d’enquête publique, ou à tout le moins d’un autre examen indépendant. La première ? Qu’il existe une telle chose dans l’espace politique que l’apparence de conflit d’intérêts, tout aussi capitale que le conflit d’intérêts lui-même. La proximité de M. Johnston avec M. Trudeau de même que son passage à la Fondation Pierre-Elliott-Trudeau le disqualifient d’emblée comme grand émissaire d’une opération de restauration de la confiance du public envers le gouvernement Trudeau, et il n’était tout simplement pas, et n’est toujours pas, l’homme de la situation, peu importe la nature de sa démarche. La deuxième ? Que le contenu de son rapport en soi encourage la tenue d’un exercice d’enquête indépendant, car non seulement M. Johnston conclut que l’ingérence étrangère dans le processus électoral canadien est une menace sérieuse et croissante, mais il ajoute que tout le système de transmission et de communication du renseignement aux ministères et aux politiciens est chaotique et comporte de graves lacunes.
Nombre d’observateurs, et pas des moindres, croient en la pertinence d’une enquête publique même si le rapporteur spécial, après s’être plongé de manière directe dans les méandres du renseignement secret, estime que cet exercice serait vain : trop long, trop coûteux, trop limité dans sa portion « publique », car un commissaire se heurterait aux mêmes limitations liées à la confidentialité que lui. C’est conclure un peu vite qu’en d’autres temps, des commissions d’enquête d’envergure, certes parfois longues, et certes parfois très coûteuses, ont eu recours à des portions à huis clos sans que cela ne ternisse ni la démarche ni ses conclusions. En lieu et place, M. Johnston propose de poursuivre son exercice en tenant des audiences publiques et il suggère une validation de son indépendance et de la probité de ses conclusions par des tiers. Quelle que soit l’issue que connaîtra cette longue saga, elle doit comporter une suite qui ne sera pas menée par M. Johnston.
Quelle sera la suite, justement ? L’aveuglement partisan dans lequel l’opposition, et plus spécialement les conservateurs de Pierre Poilievre, s’est enlisée n’augure pas une finale paisible. Mais si l’objectif est de restaurer la confiance du public, les groupes de l’opposition portent eux aussi une part de responsabilité et doivent tout faire pour que les débats sur cette question cruciale contiennent l’élévation que commande le sujet. Le manque d’indépendance apparent de David Johnston ne vient pas détruire l’ensemble de ses conclusions, et rien ne vient laisser croire à une « complicité » du premier ministre Trudeau dans l’ingérence de Pékin.
« La démocratie est fondée sur la confiance. » Tels sont les premiers mots du rapport de David Johnston, mais ils pourraient tout aussi bien en constituer aussi la conclusion, ou une invitation à tout faire pour que la suite des choses permette de restaurer cette confiance. L’exercice mené jusqu’à maintenant n’est à l’évidence pas suffisant pour nous en convaincre.