Il faut aussi une loi-cadre pour le primaire et le secondaire

Lorsque le ministère de l’Éducation lui fut offert, le député Bernard Drainville savait qu’il plongerait tête première dans des dossiers costauds comme ceux de la réussite scolaire, de la pénurie de personnel ou des élèves en difficulté. Mais il ne se doutait sans doute pas qu’une série de révélations chocs concernant des allégations de violences sexuelles dans des écoles primaires et secondaires, que l’on présume commises par des enseignants et des élèves, l’accaparerait autant. Le sujet est d’une telle gravité et les lacunes du système, si importantes que ce dossier commande des actions vigoureuses, dont le dépôt d’une loi-cadre.

Les médias n’ont de cesse de mettre au jour des histoires à révulser les parents d’élèves : ici et là, dans leur école où on les croyait à l’abri de tout, des élèves ont été sous la houlette d’enseignants au profil d’agresseurs sexuels, perpétuant leurs inconduites et comportements douteux d’une école à une autre, en toute impunité. Le Devoir a révélé la semaine dernière deux de ces histoires sordides. L’une met en scène un professeur d’une école secondaire pointé, mais jamais accusé, pour ses agissements dénoncés par des élèves et des collègues ; l’autre dévoile l’apparente impuissance de tout un système scolaire face aux inconduites d’un petit garçon envers ses camarades d’école dès le primaire. Les agissements se sont poursuivis au secondaire, jusqu’à mener à des accusations dont il fait aujourd’hui l’objet.

Ces récits ont en partage non seulement une forme d’abus de pouvoir et des violences sexuelles faisant des victimes, mais aussi l’échec retentissant du village censé se rassembler autour de l’éducation d’un enfant. Partout où les médias sont passés, le fil conducteur est le même : des gens savaient, mais n’ont rien dit ; des gens ont tenté de parler, mais se sont heurtés à l’incurie des dirigeants ; des gens ont réussi à pénétrer l’opacité du système, mais leurs démarches se sont soldées par un échec, le système s’avouant vaincu.

Dans le cas de M. P, cet enseignant pointé par d’ex-élèves et d’ex-collègues pour des comportements qui ont engendré un fort malaise chez les jeunes filles qui les subissaient, l’incapacité du système à agir fut telle que le professeur a sévi dans… trois écoles différentes, sans que son dossier puisse être transmis d’un centre de services scolaire à l’autre, ainsi que le veulent les règles de protection de la confidentialité. Le cas de Corey, le nom fictif donné à cet élève ayant perpétré du primaire au secondaire des comportements lui valant aujourd’hui 11 chefs d’accusation, est tout aussi troublant. Malgré des dénonciations de parents dès le primaire, le système a failli et n’a pu protéger ni Corey, dont on peut supposer qu’il ne bénéficiait pas du meilleur encadrement, ni les enfants à qui il a fait subir ses comportements inadéquats.

Depuis plusieurs mois, des groupes, comme le collectif La voix des jeunes compte, et l’opposition à l’Assemblée nationale jouent un bras de fer avec le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, pour le convaincre qu’une loi-cadre est nécessaire. Ils ont parfaitement raison. Le gouvernement de François Legault n’a pas lésiné sur les moyens depuis que les dénonciations d’inconduites sexuelles à l’école primaire et secondaire se multiplient : il a déclenché une enquête générale sur les violences sexuelles dans les écoles du Québec ; il a déposé le costaud projet de loi 23, dont l’une des clés est d’améliorer la responsabilisation des centres de services scolaires ; il a lancé une ligne téléphonique de dénonciation ; et il s’appuie sur l’entrée en fonction prochaine du Protecteur national de l’élève pour améliorer le processus de dénonciation et de traitement des plaintes. Ce n’est pas rien, mais ce n’est pas assez.

Si le gouvernement est sérieux dans sa volonté de colmater les brèches de son système passoire, il doit s’en donner les moyens législatifs et réglementaires. Une loi-cadre existe depuis 2017 pour mieux encadrer l’enseignement supérieur, qui connut son lot de dénonciations pour inconduites sexuelles. La loi agit sur la prévention, la sensibilisation, la responsabilisation et l’accompagnement des personnes. Elle oblige les établissements d’enseignement à formuler une politique qui doit tout prévoir en ce qui a trait, par exemple, aux dirigeants, à leur rôle dans l’intervention et aux délais qui sont à prévoir pour favoriser un règlement.

Ce qui a choqué dans les dossiers mis au jour par les journalistes ces derniers temps vise tout droit la question de l’impunité. On en vient presque à se demander si, dans un univers où les droits des uns côtoient ceux de leurs vis-à-vis, les agresseurs ne sont pas mieux protégés que leurs victimes, notamment en raison de la confidentialité des dossiers. Si le gouvernement est sérieux dans son intention de mieux régir les inconduites sexuelles, qui ne devraient jamais survenir à l’école, qu’il planche tout de suite sur une loi-cadre destinée aux écoles primaires et secondaires pour offrir une forteresse infranchissable.

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