La méthode Jolin-Barrette dans la nomination des juges ne passe pas

Dans un passé pas si lointain, les élus de l’Assemblée nationale et des membres influents de la communauté juridique ont bataillé ferme pour moderniser le processus de nomination des juges et éviter que le processus ne soit entaché par des conflits d’intérêts, réels ou apparents. Avons-nous déjà tout oublié de la commission Bastarache ?

En 2010 et 2011, le Québec était en émoi à la suite des révélations sur un lien possible entre le financement du Parti libéral du Québec (PLQ) et la nomination des juges de la Cour du Québec. Une employée du cabinet du premier ministre, Jean Charest, accolait des « post-it » sur les dossiers de candidatures pour préciser l’allégeance politique des candidats à la magistrature. Ce fut une énorme histoire, assez préoccupante pour que le gouvernement Charest soit contraint d’ordonner la tenue d’une commission d’enquête, présidée par l’ex-juge de la Cour suprême Michel Bastarache. Le rapport final n’avait pas formulé de reproches au premier ministre, mais le juge Bastarache n’était pas tendre avec le système de nomination de l’époque, le disant « perméable aux interventions et influences de toute sorte ».

Le gouvernement Charest a donné suite aux principales recommandations du rapport en réformant le processus de nomination pour le confier à un comité indépendant. Celui-ci recommande des candidatures pour le poste de juge au ministre de la Justice. Le pouvoir discrétionnaire du ministre et le risque de favoritisme demeurent entiers, mais le mécanisme permet de mettre une saine distance entre le processus de nomination et le risque d’influence politique.

Entre en scène Simon Jolin-Barrette. Le ministre de la Justice a nommé un ami de longue date pour siéger comme juge à la chambre criminelle de la Cour du Québec, Charles-Olivier Gosselin. La commissaire à l’éthique, Ariane Mignolet, a déclenché une enquête à ce sujet. Mais il y a plus préoccupant encore. Depuis 2020, M. Jolin-Barrette a annulé cinq appels de candidatures, dans l’anonymat confortable de son bureau, sans fournir d’explications. La colère gronde dans les districts judiciaires frappés par les caprices ministériels.

Les partis d’opposition affichent leur malaise devant la nomination du juge Gosselin, un juriste dont la compétence et la probité ne sont nullement remises en cause dans cette affaire. Au Québec, le monde est petit, dit l’adage. Il l’est encore plus dans les cercles restreints, comme les cercles d’affaires ou la communauté juridique. La possibilité qu’un ministre nomme un ami ou une connaissance à un poste important n’est pas scandaleuse en soi, c’est le secret entourant la méthode qui pose problème.

Ainsi, la nomination de l’ami Gosselin constitue, pour le ministre de la Justice, un geste imprudent qui laissera des traces. Le Parti québécois (PQ) dénonce à juste titre le contournement de « l’esprit des recommandations » du rapport Bastarache. Le porte-parole de l’opposition officielle en matière de justice, le député libéral André Albert Morin, résume bien le problème de perception qui ne cessera de hanter Simon Jolin-Barrette. « Quand on procède à la nomination d’un juge, il faut que ça donne l’image que c’est au-dessus de tout soupçon, c’est exactement ce que le ministre a raté ici », a-t-il dit.

Il fut un temps où cette histoire aurait fait du bruit, mais déjà au congrès de la Coalition avenir Québec (CAQ), elle était reléguée au rang de note de bas de page. Au royaume de la supermajorité, il n’y a pas de quoi s’alarmer. Le premier ministre, François Legault, a balayé les critiques du revers de la main, en affirmant que l’ère des nominations partisanes était révolue depuis les travaux de la commission Bastarache.

Il y a tout de même des questions embarrassantes pour le premier ministre Legault. Comment se fait-il qu’il ait appris la nomination d’un ami de M. Jolin-Barrette dans les journaux ? Comment expliquer l’annulation de cinq concours, en catimini, sans explications ? Et surtout, que répondra-t-il à la communauté juridique ? Celle-ci regarde le ministre Jolin-Barrette d’un oeil circonspect dans le contexte plus large de son affrontement permanent avec la Cour du Québec.

Rien ne suggère que Simon Jolin-Barrette ait outrepassé ses prérogatives ministérielles, mais cela ne devrait pas empêcher le premier ministre Legault de se préoccuper des apparences de justice et du lien de confiance que le public entretient à l’égard de l’administration de la justice. Il ne suffit pas que la justice soit indépendante, elle doit être perçue comme telle.

Il s’agissait de l’une des grandes leçons du rapport Bastarache, que la professeure agrégée à la Faculté de droit de l’Université de Montréal Martine Valois rappelle à bon escient dans un texte publié dans La Presse. « Nommer des juges est un devoir et non un privilège », rappelle la juriste qui fut la conseillère principale à la rédaction du rapport Bastarache. Elle dénonce « une attitude qui frôle la désinvolture » de la part du ministre de la Justice et du gouvernement Legault.

Nous ne devrions pas en rester là. La méthode Jolin-Barrette ne passe pas le test de la confiance dans la nomination des juges.

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