La conversion d’Hydro-Québec

Au début du premier mandat de la Coalition avenir Québec, le p.-d.g. d’Hydro-Québec, Éric Martel, avait informé le nouveau premier ministre François Legault que la société d’État aurait des surplus d’électricité pour les 20 prochaines années. On sait aujourd’hui que ses prévisionnistes s’étaient royalement gourés, car à peine cinq ans plus tard, les perspectives sont tout à fait différentes.

C’est embêtant parce que prévoir la demande d’électricité à moyen et à long terme est une responsabilité critique d’Hydro-Québec. Accroître la production d’électricité ne se fait pas en criant ciseau. La société d’État nous avait d’ailleurs habitués à surévaluer la demande d’électricité, ce qui entraînait des coûts dont on aurait pu se passer. Mais on doit convenir que manquer d’électricité, c’est pire.

Les projets de grands barrages commandent une longue planification, et leur réalisation s’étend habituellement sur 15 ans. Le déploiement de la filière éolienne est plus rapide, mais il n’est pas instantané. Devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain vendredi, le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, a indiqué qu’il avait l’intention de quadrupler la puissance installée en éolien d’ici 2040 pour atteindre 16 000 MW. Rien de moins. En mars dernier, il a lancé un appel d’offres de 1500 MW d’éoliennes qui doivent être raccordées au réseau dans plus de quatre ans, en décembre 2027 et décembre 2029.

Devant l’engouement des industries pour l’énergie verte, Hydro-Québec est prise au dépourvu. Et cela, tant pour les clients existants, on pense aux alumineries, par exemple, que pour les nouveaux projets d’implantation. La société d’État n’arrive plus à répondre à la demande industrielle, tellement que le gouvernement Legault lui a donné le pouvoir de choisir quels nouveaux projets de 5 MW et plus seront raccordés, alors qu’elle ne pouvait exercer un droit de refus que pour les très grands consommateurs industriels de 50 MW et plus. Et des projets de 50 MW et plus, le ministre Fitzgibbon a dit qu’il en avait 50 sur sa table.

La perspective de ces surplus a conduit à la signature de deux mégacontrats d’approvisionnement qui réservent à l’État du Massachusetts et à la ville de New York, pendant 20 et 25 ans respectivement, près de 10 % de l’électricité produite par Hydro-Québec à l’heure actuelle. Évidemment qu’on s’en mord les doigts aujourd’hui, bien que le gouvernement Legault se console en se disant que les contrats comprennent des interconnexions qui pourront avoir leur utilité pour l’importation d’électricité. Mais c’est une bien mince consolation. Il est évidemment hors de question de ne pas respecter ces signatures. Le mieux qui pourrait arriver, c’est que le contrat avec le Massachusetts soit annulé en raison des contestations touchant les lignes de transmission traversant le Maine. Il ne faut toutefois pas trop compter là-dessus.

Assise sur des surplus, mêmes imaginaires, Hydro-Québec était réticente dans le passé à offrir des programmes d’efficacité énergétique dignes de ce nom, mis à part des mesures pour diminuer la consommation durant les pointes hivernales. Après tout, pour toute économie d’énergie, c’étaient de ventes qu’elle se privait. Même son unique actionnaire, l’État québécois, n’y voyait pas son intérêt. La donne a maintenant changé.

L’électricité la moins chère, c’est celle qu’on ne consomme pas, répète Pierre Fitzgibbon. Hydro-Québec a annoncé au début d’avril qu’elle triplait ses cibles en matière d’efficacité énergétique. Elle vise désormais 25 TWh d’ici dix ans. C’est dire qu’elle est disposée à investir dans des « négawatts ». Ce qui était qualifié d’irréaliste par ses ingénieurs, et le fruit de l’imagination de militants écologistes, est maintenant possible et hautement souhaitable. En soi, c’est toute une conversion.

Mais pour remplacer les combustibles fossiles par l’électricité et ainsi décarboner le Québec, il faudra évidemment beaucoup plus que ces 25 TWh en efficacité énergétique. Dans son dernier plan stratégique, Hydro-Québec prévenait qu’il lui faudrait hausser de 50 %, ou 100 TWh, le volume d’électricité dont elle disposera d’ici 2050. Et c’est sans compter les projets industriels majeurs qui pourraient voir le jour. Il faudra beaucoup, beaucoup d’énergie : « Est-ce que c’est 100 TWh ? 150 TWh ? Plus ? » s’est demandé le ministre.

Évidemment, produire ou économiser de tels volumes d’électricité apparaît utopique. Déjà, d’assurer que l’offre d’électricité sera suffisante, ne serait-ce que pour la présente décennie, est un défi. Le gouvernement Legault est incapable de nous dire comment le Québec parviendra à dégager d’ici 25 ans de tels volumes d’énergie renouvelable. On ne peut cependant pas lui jeter la pierre : personne n’est en mesure de le faire.

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