Les moyens du bord
François Legault ne veut pas passer à la postérité comme étant un premier ministre qui a assisté les bras croisés au déclin rapide du français. Au congrès caquiste, devant des militants qui lui avaient accordé un appui stalinien, il a fixé comme objectif de renverser la tendance et de hausser le pourcentage de francophones que compte le Québec.
Comme Ottawa continue de faire la sourde oreille à la demande du gouvernement Legault d’obtenir plus de pouvoirs en matière d’immigration, il devra se contenter d’utiliser plus efficacement, et de façon plus complète, les pouvoirs qu’il détient.
L’immigration est maintenant considérée comme un moyen de renforcer le fait français plutôt que comme une menace d’anglicisation. Le gouvernement Legault rejette l’idée de diminuer le seuil d’immigration actuel, fixé à quelque 50 000 immigrants admis annuellement, comme le voudrait le Parti québécois qui propose de s’en tenir à 35 000. La décision du gouvernement caquiste, en 2018, de réduire à 40 000 le nombre d’immigrants admis lui avait causé des maux de tête, entraînant de sérieux problèmes avec l’« inventaire », c’est-à-dire cette masse de détenteurs d’un Certificat de sélection du Québec privés de la résidence permanente.
Sous peu, la ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Christine Fréchette, dévoilera le document de consultation en vue de la tenue de la commission parlementaire qui se penchera à la fin de l’été sur le Plan pluriannuel d’immigration 2024-2027, un passage obligé prévu dans la loi. Comme c’est le cas habituellement lors de cet exercice, la ministre présentera non pas un seul, mais quelques scénarios sur les cibles d’immigration.
Le gouvernement caquiste veut faire en sorte que la voie de l’immigration dite économique, celle que sélectionne le Québec et qui constitue 65 % de l’immigration permanente, soit réservée exclusivement à des candidats qui ont une connaissance du français. La connaissance de la langue commune deviendra une condition sine qua non. Cela s’impose.
Mais l’immigration temporaire est tout aussi cruciale. On compte actuellement plus de 90 000 étudiants étrangers sur le territoire et 45 % d’entre eux fréquentent des cégeps et des universités de langue anglaise, situés principalement sur l’île de Montréal. Il est clair que ces étudiants qui, pour la plupart, ne parlent pas français contribuent à angliciser la métropole. Comme ils possèdent des permis de travail, leur présence est sans doute liée à la croissance fulgurante des plaintes traitées pas l’Office québécois de la langue française touchant la langue de service. Pour contrer ce phénomène, le gouvernement caquiste projette de hausser la proportion d’étudiants étrangers qui étudient dans des cégeps et des universités de langue française.
En outre, Québec n’a pas un mot à dire sur l’arrivée de la majorité des travailleurs temporaires qu’Ottawa fait entrer grâce à son programme à géométrie variable appelé Programme de mobilité internationale. Près de 75 000 travailleurs dits temporaires, mais souvent embauchés pour de longues périodes de trois, quatre ou cinq ans, et même plus, échappent aux responsabilités de l’État québécois.
Au début juin sera lancée Francisation Québec, une entité issue de la loi 96 sur la langue commune et chargée d’offrir des cours de français en classe, en ligne et dans les entreprises. Le gouvernement caquiste a aussi formé le Groupe d’action pour l’avenir de la langue française, présidé par le ministre Jean-François Roberge, et regroupant cinq ministères. On veut se donner les moyens de rejoindre les Québécois qui ne parlent pas français notamment dans les milieux de travail. Le groupe doit livrer cet automne un plan d’action pour assurer, entre autres, l’exemplarité de l’État en matière de langue française, ce qui englobe les municipalités, y compris Montréal. Bonne chance.
Pendant que ces ministères se triturent les méninges, les 48 villes qui ont un statut bilingue, mais qui ne remplissent pas le critère de compter au moins 50 % de citoyens anglophones, ont été avisées qu’elles perdaient ce statut, conformément à la nouvelle loi. Or, comme le permet cette même loi, une simple résolution du conseil municipal leur permettait de conserver le statu quo. Toutes ces villes, sans exception, même Otterburn Park qui ne compte que 7,2 % d’anglophones, ont choisi de rester bilingues. La force de l’habitude, on dira, mais pour l’exemplarité, on repassera.
Il y a un an, François Legault, brandissant le spectre de la « louisianisation », réclamait d’Ottawa tous les pouvoirs en matière d’immigration. Mais aujourd’hui, le chef caquiste dit vouloir se contenter des moyens du bord, se résignant à n’exercer qu’un contrôle partiel sur un enjeu pourtant existentiel pour la nation québécoise. Pour ce qui est des résultats, il faudra être patient : changer la tendance démolinguistique prendra des années.