Blanc bonnet, bonnet blanc

Le gouvernement Trudeau a cherché à se détacher de l’organisme privé Century Initiative (Initiative du siècle) qui promeut une cible de 500 000 immigrants par année de façon à faire du Canada un pays de 100 millions d’habitants en 2100, soit deux fois et demie sa population actuelle.

Talonné par le Bloc québécois à la Chambre des communes la semaine dernière, le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Sean Fraser, a déclaré que la position de Century Initiative « n’est pas la politique de notre gouvernement ». Le Bloc a présenté une motion qui doit être mise aux voix lundi et qui demande aux parlementaires de rejeter les objectifs de l’organisme torontois et au gouvernement « de ne pas s’en inspirer pour développer ses seuils d’immigration à venir ».

Un tel seuil d’immigration menace la langue française, le poids politique du Québec, la place des Autochtones ainsi que l’accès au logement, aux services de santé et à l’éducation, allègue le parti souverainiste. On ne peut que lui donner raison.

La ministre Mélanie Joly a beau accuser le Bloc québécois « de faire peur au monde », le problème, c’est que le plan fédéral en matière d’immigration, dévoilé cet automne, prévoit justement d’accueillir 500 000 immigrants permanents en 2025. Il est bon de rappeler que l’idée de hausser substantiellement les seuils d’immigration vient d’un groupe de travail, mandaté en 2016 par le gouvernement Trudeau et présidé par Dominic Barton, alors numéro un mondial de la firme McKinsey. Le comité recommandait d’augmenter de 50 % le nombre d’immigrants admis pour atteindre graduellement les 450 000. C’est ce même Barton qui a cofondé Century Initiative.

Depuis la présentation de ce rapport, le gouvernement Trudeau n’a pas cessé de relever ses cibles en matière d’immigration.

Le nombre d’immigrants admis dans une année, ceux qui obtiennent leur résidence permanente, n’est qu’une partie de l’histoire. Statistique Canada calcule la croissance annuelle nette de la population canadienne, qui tient compte des additions comme des soustractions, des naissances comme des décès, des nouveaux immigrants permanents et demandeurs d’asile ainsi que de l’arrivée et des départs des immigrants temporaires, travailleurs ou étudiants étrangers.

Pour l’année 2019, avant la pandémie, l’agence fédérale avait noté un accroissement démographique de 583 766 personnes, un sommet historique, dont 85 % venait de la migration internationale et le reste, des naissances en sus des décès. Le Canada affichait le plus haut taux de croissance des pays du G7, et plus du double des États-Unis et du Royaume-Uni. Après un creux en 2020, dû surtout aux restrictions à la frontière imposées lors de la pandémie, la croissance a repris l’année suivante. Puis, en 2022, c’est l’explosion : plus d’un million de personnes, dont 96 % sont des migrants, se sont ajoutées à la population, un record de tous les temps en nombre absolu. C’est une progression de 2,7 % et il faut remonter à 1957 pour voir un taux plus élevé, obtenu grâce au baby-boom et à un afflux de réfugiés à la suite de la révolution matée en Hongrie. Le bond de 2022 place le Canada parmi les 20 premiers pays qui ont connu la plus forte croissance démographique l’an dernier, presque tous les pays qui le devancent se trouvant en Afrique. Si le Canada poursuit sur cette lancée, l’objectif de 100 millions d’habitants sera atteint bien avant 2100. Ce n’est ni souhaitable ni soutenable.

Contrairement au discours d’Ottawa, l’immigration massive ne réduit pas nécessairement la pénurie de main-d’oeuvre. Dans certains cas, elle peut même accentuer la rareté puisque les nouveaux arrivants consomment des biens et des services, notamment des services publics. La croissance de la population entraîne forcément une poussée du PIB, mais pas nécessairement un enrichissement par tête de pipe. Il va sans dire que l’activité économique favorise les entreprises qui peuvent poursuivre leur expansion, tous ceux qui ont quelque chose à vendre et les propriétaires immobiliers, bref, les possédants. Pas étonnant que les gens d’affaires, bien représentés par le comité Barton, multiplient les pressions pour la poursuite de l’Initiative du siècle. Mais pour les gens ordinaires aux prises avec une pénurie de logements de plus en plus grave et des loyers qui montent en flèche, le point de vue n’est pas le même.

À l’Assemblée nationale, les élus ont adopté la semaine dernière à l’unanimité deux motions dénonçant cette initiative, qui « n’est pas viable pour l’avenir de la nation québécoise ».

Le gouvernement Trudeau soutient que sa politique d’immigration, basée sur des prémisses douteuses, n’est pas celle de l’Initiative du siècle. Or c’est blanc bonnet et bonnet blanc.

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