Rouler vers l’échec

Un deuxième Sommet climat Montréal a attiré quelque 650 participants, mardi et mercredi, réunis autour d’un objectif ambitieux de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) dans l’agglomération montréalaise de 55 % d’ici 2030 (par rapport au niveau de 1990) et d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050.

Le sommet a donné lieu à une pluie d’annonces et d’engagements. La mairesse de Montréal, Valérie Plante, a dévoilé un projet d’aménagement d’un quadrilatère du Vieux-Montréal, qui reste à identifier, en zone piétonnière dès l’été prochain. Ce « royaume des piétons » s’inspire des exemples internationaux tels que Vienne, Bruxelles et Montpellier. L’administration Plante remplira une promesse électorale en transformant un tronçon du boulevard Henri-Bourassa en « corridor de mobilité durable » avec un service rapide par bus (SRB) et un Réseau express vélo (REV). Il a été aussi question de transformer le transport des marchandises en activité à zéro émission, en élargissant la portée du projet Colibri (des mini-centres de distribution de quartier pour décarboner la livraison de colis).

Le gouvernement fédéral n’était pas en reste. Le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, a annoncé une enveloppe d’environ 230 millions de dollars pour divers projets tels que la réduction des émissions de GES, le remplacement des systèmes de chauffage au mazout pour les ménages à faibles revenus et la plantation de 275 000 arbres à Montréal et à Vaudreuil-Dorion. À ce chapitre, il y a plus de réalisme dans L’homme qui plantait des arbres que dans le plan fédéral. Ottawa caresse l’objectif irréaliste — eu égard à l’efficacité de la machine fédérale — de planter deux milliards d’arbres d’ici 2030, un plan durement critiqué par le commissaire fédéral à l’environnement et au développement durable. Nous parlons ici d’un gouvernement qui arrive au 2e rang, parmi les pays du G20, pour les subventions aux producteurs d’énergies fossiles (les libéraux promettent d’y mettre fin d’ici la fin de l’année).

Ce sommet concentre à la fois de bonnes intentions et un problème plus grand que le coprésident de Partenariat climat Montréal, à l’origine de l’événement, Karel Mayrand, a bien résumé dans un texte paru dans La Presse. La plupart des plans d’adaptation des municipalités et des gouvernements se résument « à produire des études, à planter des arbres et à mettre à niveau certaines infrastructures sans véritable plan d’ensemble », écrit-il. Il en résulte « une courtepointe de mesures » sans impact véritable sur notre résilience collective face aux changements climatiques.

Le Sommet climat Montréal a-t-il produit autre chose qu’une nouvelle courtepointe ? Oui et non. D’un côté, il se dégage de cette longue liste d’annonces l’impression que nos élus sont à la recherche désespérée de réalisations en matière de lutte contre les changements climatiques. De l’autre, il y a aussi quelque chose d’encourageant dans la mise en commun de l’expertise des secteurs publics et privés dans l’atteinte d’un objectif de carboneutralité. Ne négligeons pas l’effet d’entraînement potentiel que décèle ce croisement des savoirs et de la volonté d’action, sans pour autant succomber à l’optimisme délirant.

Cette initiative, marquée par la recherche de « pistes d’actions concrètes, réalistes et rapides », sera-t-elle suffisante ? Si le passé est garant de l’avenir, le pronostic est plutôt sombre. Dans la lutte contre les changements climatiques, le commissaire fédéral à l’environnement et au développement durable évoque « une série d’échecs depuis 30 ans à Ottawa ». Au Québec, le temps va manquer pour atteindre l’objectif de carboneutralité de 2030. À Montréal, même une mairesse aussi impliquée dans la lutte contre les changements climatiques que Valérie Plante n’y arrive pas. Montréal s’éloigne de son objectif de réduction des GES de 55 % d’ici 2030.

Selon une étude obtenue par La Presse, les 15 villes de l’agglomération ont généré 12,1 millions de tonnes de GES en 2019, soit 3 % de plus que l’année précédente. À Montréal, le transport est responsable de près de 40 % des émissions de gaz à effet de serre, et celles-ci ne baissent pas, au contraire. Les émissions de GES issues du transport ont augmenté de 18 % entre 1990 et 2019. Le hiatus de la pandémie étant derrière nous, le bilan va repartir à la hausse. Le problème est similaire dans tout le Québec, une nation dont les routes sont en voie d’être colonisées par le pick-up tout puissant.

Nous en revenons aux origines du mal : un parc automobile qui augmente plus vite que la population, une stagnation de la part modale des transports collectifs à Montréal (et un recul dans tout le Québec), des politiques d’aménagement du territoire inégales et carrément irresponsables dans certaines municipalités, l’insouciance collective qui nous amène à revendiquer l’autoroute avant le tramway, etc.

Pour l’heure, nous ajoutons des poignées de sel dans un verre d’eau avec l’espoir que jaillisse un océan. Nous roulons vers l’échec. Acceptons cette réalité en face, c’est le premier pas avant d’exiger de nos représentants élus des actions plus fermes et concertées dans la lutte contre les changements climatiques.

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