Le joli Fonds bleu

Les consultations sur le projet de loi 20 instituant le Fonds bleu, qui se sont déroulées en commission parlementaire cette semaine, ont été marquées par ce qu’on peut qualifier de divergences de vues entre le ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Benoit Charette, et le monde municipal représenté par l’Union des municipalités du Québec (UMQ) et la Fédération québécoise des municipalités (FQM).

Tant l’UMQ que la FQM ont réclamé qu’une bonne part du Fonds bleu soit destinée aux municipalités. Le président de l’UMQ, Martin Damphousse, a fait valoir que les municipalités ont un rôle majeur à jouer en matière d’approvisionnement en eau potable et d’aménagement. Le président de FQM, Jacques Demers, a souligné que les petites municipalités n’avaient pas les ressources financières suffisantes pour entreprendre les grands travaux d’infrastructure essentiels en matière d’eaux usées, par exemple, ou pour la réfection des barrages dont elles ont la responsabilité.

Benoit Charette a répliqué à l’UMQ que le Fonds bleu n’accordera pas la priorité aux municipalités. Il faut se défaire du réflexe de chercher à « protéger nos intérêts personnels, mais penser de façon collective », a-t-il avancé. Étrange réponse du ministre : c’est comme si les municipalités, ce gouvernement de proximité, n’avaient pas comme responsabilité de défendre les intérêts collectifs de leur population.

Lors de son passage à la COP15 en décembre dernier à Montréal, François Legault avait annoncé la création du Fonds bleu, qui serait doté d’au plus 150 millions par an pendant cinq ans. Ce fonds sera financé en partie par les redevances sur l’eau, mais le gros de son enveloppe, soit 100 millions par an, lui vient de l’État québécois, une somme prévue dans le dernier budget Girard.

Avec le projet de loi 20 viennent aussi deux règlements. Le premier vise à relever les redevances faméliques imposées aux industries pour leur consommation d’eau. Les embouteilleurs paieront plus cher que la grande industrie. Globalement, les redevances sur l’eau passeront 3 millions à 30 millions par an, ce qui est comparable avec le régime ontarien. Le deuxième règlement lèvera le secret commercial qui pèse sur la consommation d’eau. Le ministre de l’Environnement rendra publiques l’an prochain les quantités d’eau prélevées par l’industrie, une donnée essentielle pour savoir si l’exploitation de la ressource est pérenne.

Sur papier, le Fonds bleu ratisse large. Il pourra financer le contrôle et la prévention des inondations, la conservation des écosystèmes aquatiques ainsi que toute activité liée à « l’utilisation durable, équitable et efficace des ressources en eau ». Protection, restauration et mise en valeur sont au menu. La loi affirme le caractère collectif de la ressource et favorise une meilleure « gouvernance » de l’eau. Son volet acquisition de connaissances et innovation technologique est important, tout comme la sensibilisation et l’éducation populaire.

La parcimonie du ministre s’explique sans doute par le fait que les sommes dont est doté le Fonds bleu ne correspondent pas à l’ampleur de la tâche. Et bien qu’on multiplie par dix les redevances sur l’eau — il faut dire qu’elles étaient insignifiantes —, elles ne s’élèvent dans un premier temps qu’au quart des investissements.

Nous ne doutons pas que le Fonds bleu fera oeuvre utile. Mais qu’est-ce que 150 millions par an au mieux pour contrôler les inondations ou restaurer les cours d’eau et les lacs affectés par la pollution et un vieillissement prématuré ? Selon une étude commandée par le Caucus des municipalités locales de l’UMQ, la lutte contre les espèces exotiques envahissantes dans les plans d’eau coûterait à elle seule 114 millions par an. Tout en étant source d’érosion des berges et de pollution, la navigation de plaisance motorisée est le principal vecteur de transmission de ces espèces nuisibles. La navigation relève du gouvernement fédéral, qui préside en la matière à un souverain laisser-faire sur nos lacs fragiles, les municipalités ne peuvent réglementer cette activité qui menace, dans bien des cas, les écosystèmes aquatiques.

Le projet de loi 20 et le Fonds bleu dont elle accouche font l’impasse sur des enjeux pourtant majeurs qui touchent la qualité de l’eau. C’est le cas du rejet des eaux usées par les municipalités lors de pluies fortes et soudaines, phénomènes appelés à se produire plus souvent en raison du réchauffement climatique. Il y a aussi, en agriculture, la filière porcine et la culture intensive de maïs et de soya qui lui est étroitement associée, sources de pollution massive de nos cours d’eau. Mais de cela, ni le projet de loi 20 ni le ministre n’en parlent : il est vrai que ce ne sont pas quelques centaines de millions qui sont en cause, mais des milliards. Et après tout, Fonds bleu, ça fait tellement joli.

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