Les œillères du gouvernement Legault
Même si le portrait de l’immigration a considérablement changé ces dernières années avec l’afflux d’immigrants temporaires, la ministre Christine Fréchette s’en tiendra aux consultations habituelles sur les seuils d’immigration permanente, un nombre qui tourne autour de 50 000 en 2023.
La semaine dernière, la ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration a rejeté, lors de l’étude des crédits de son ministère, la proposition de l’opposition d’élargir la réflexion aux travailleurs temporaires et aux étudiants étrangers ainsi qu’aux demandeurs d’asile, ce qu’a suggéré, notamment, le député de Québec solidaire Guillaume Cliche-Rivard, qui, avant son élection dans Saint-Henri–Sainte-Anne, était un avocat spécialisé dans les droits des migrants.
Or ces 50 000 immigrants reçus ne constituent qu’une fraction des étrangers qui vivent au Québec, qui y travaillent ou qui y étudient, tandis que leur statut temporaire représente pour bon nombre d’entre eux la voie toute désignée pour s’établir au Québec de façon permanente.
Selon les données diffusées lors de l’étude des crédits, le nombre d’immigrants permanents a atteint les 68 000 en 2022, ce qui était prévu dans le plan d’immigration pour l’année. On retrouve les 50 000 du seuil normal auquel s’ajoute un rattrapage touchant 18 000 candidats en raison des retards accumulés durant la pandémie. Or les immigrants temporaires sont trois fois plus nombreux que ce chiffre gonflé exceptionnellement et quatre fois plus que le seuil de 50 000 auquel le gouvernement caquiste semble vouloir s’accrocher.
Ainsi, on compte au Québec 93 370 étudiants étrangers et les 73 195 travailleurs temporaires en vertu du Programme fédéral de mobilité internationale (PMI). Un peu plus de 35 000 personnes, dont plusieurs travailleurs agricoles saisonniers, empruntent la voie du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) supervisé par Québec. Avec près de 60 000 demandeurs d’asile, le cap des 300 000 immigrants toutes catégories confondues est dépassé.
Les travailleurs étrangers du PMI s’installent à 84 % dans la région de Montréal, et 40 % d’entre eux ne parlent pas français. Ils sont recrutés par des entreprises avec le seul aval du gouvernement fédéral. On devine que ceux qui ne parlent pas français travaillent en anglais dans un marché du travail qui les accommode. Rien pour encourager la régionalisation de l’immigration, rien pour éviter l’érosion du fait français dans la métropole.
Les travailleurs étrangers temporaires répondent à des besoins « ponctuels » ou « conjoncturels », a affirmé Christine Fréchette. C’est une demi-vérité. Souvent, ces travailleurs dits temporaires occupent des postes permanents. À l’heure actuelle, ils forment avec les étudiants étrangers le principal bassin de candidats à l’immigration. Et quand une conjoncture dure 15 ans, comme c’est le cas avec cette masse de baby-boomers qui passeront l’arme à gauche, il s’agit plutôt d’une tendance de fond.
Que la ministre décide de porter des œillères et de négliger des facteurs qui conditionnent de plus en plus la nature de l’immigration dite économique, celle dont les candidats sont sélectionnés par Québec, laisse pantois. Certes, les personnes qui comparaîtront en commission parlementaire auront le loisir de déborder du cadre étroit délimité par les consultations. Mais comme le contenu des « grandes réformes » promises par la ministre sera dévoilé d’ici la fin de la présente session, certains participants auront sans doute l’impression, à la fin de l’été, de parler dans le vide.
De même, la ministre est silencieuse relativement aux pouvoirs plus étendus que l’État québécois devrait exercer en matière de travailleurs étrangers temporaires.
Une forme de résignation pragmatique semble animer la ministre, qui compte annoncer des mesures concrètes pour sélectionner davantage de candidats francophones ou francotropes. Les exigences du Programme de l’expérience québécoise (PEQ), voie rapide pour obtenir un certificat de sélection du Québec, devraient être assouplies pour les étudiants francophones. Ils sont moins nombreux à émigrer au Québec depuis que le gouvernement caquiste a apporté des restrictions au programme.
On doit comprendre que le gouvernement Legault a abandonné l’idée de tenir une forme de sommet ou d’états généraux sur la question de la démographie, de la situation du français et de l’immigration. Vu la régularité avec laquelle les caquistes se sont mis les pieds dans les plats à ce sujet, on peut comprendre la réserve des apparatchiks.
Le gouvernement Trudeau poursuit sa politique d’immigration pléthorique, qui modifie le portait social et linguistique du Canada, au détriment du Québec et des francophones canadiens. Pendant ce temps-là, le gouvernement Legault resserre des boulons.