Une souveraineté culturelle 2.0

L’impérialisme culturel a pris plusieurs visages à travers les âges, mais jamais n’aura-t-il paru aussi tentaculaire et mortifère que sur le terrain des plateformes numériques où une poignée de géants fait la loi. Il faut se réjouir de la récente combativité du ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe. Sa conférence au Conseil des relations internationales de Montréal, vendredi, croisait devoir de mémoire et devoir de suite dans un alliage qui trahit un salutaire changement de ton.

On lui concède que les beaux jours de la souveraineté culturelle de Robert Bourassa sont derrière. Devant les Netflix, Spotify et YouTube de ce monde, la voilà écrasée à répétition, niée à sa face même. Comment rivaliser avec des géants qui évoluent en marge de nos sensibilités, sans limites et sans contraintes, a fortiori sur un terrain où nous avons, nous, mains et pieds liés par nombre de devoirs et d’obligations ? C’est la question épineuse à laquelle devra répondre le carré d’as que le ministre a appelé en renforts.

Le mandat de ce groupe d’experts est ouvert, et c’est heureux. Il pourra ainsi remuer toutes les pierres : lois, règlements, ententes avec le fédéral ou à l’international, leviers financiers, crédits d’impôt, découvrabilité, alouette ! Tout pourra être revu, bonifié ou inventé, avec pour unique obsession la protection de l’accès à la culture québécoise à l’ère du numérique. Jamais encore un tel mandat n’avait fait l’objet d’une pareille ambition à Québec. Le gouvernement Legault prend, enfin, l’épouvantail numérique à bras-le-corps.

La feuille de route du quatuor choisi par M. Lacombe aligne des expertises qui forcent l’admiration. Les professeurs Véronique Guèvremont et Patrick Taillon sont des sommités. Ancienne ministre flamboyante, Louise Beaudoin a aussi été déléguée générale du Québec à Paris à l’instar de Clément Duhaime qui aura, quant à lui, fait les beaux jours de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) à titre d’administrateur.

Tous deux ont joué — et excellé — au jeu politique et au jeu diplomatique. On leur doit nombre de bons coups culturels du début des années 2000, ici et à l’international. S’ils pourront puiser dans l’esprit qui a présidé à ces combats essentiels, Mme Beaudoin et M. Duhaime se mesureront à une hydre réputée indomptable qui a considérablement grandi. L’éclairage d’une poignée de grands clercs numériques issus de la nouvelle génération de batailleurs culturels paraît incontournable.

Cela aidera à compenser les appétits modérés, voire absents, de nos alliés dans ce dossier. Sur la scène internationale, les négociations à l’Organisation de coopération et de développement économiques pour une taxation des géants du numérique piétinent. En février, on les a même déclarées dans l’impasse. À Paris, l’OIF a accueilli sa nouvelle administratrice sur un fond de crise.

Les GAFAM peuvent dormir sur leurs deux oreilles. Prononcer francophonie numérique » toutes les deux phrases pour en tirer un plan d’action tissé de bonnes intentions comme on l’a fait au plus récent sommet de la francophonie ne suffira pas. Le climat semble paradoxalement plus prometteur à Ottawa, où vient d’être adopté le projet de loi C-11, qui forcera ces géants à contribuer à l’écosystème culturel canadien.

C’est une avancée majeure, a concédé le ministre Lacombe en prenant la peine de préciser que son objectif n’est pas « de s’opposer au travail accompli par Ottawa », mais bien « de le bonifier ». Sa main tendue au ministre du Patrimoine serait presque attendrissante si on ne savait pas à quel point le gouvernement Trudeau fait peu de cas des espoirs et des envies du gouvernement caquiste. Idem pour ses compétences, à en juger par le projet de loi C-18 sur les plateformes de communication en ligne, qui s’aventure sur des terres médiatiques jusqu’alors inexplorées par le fédéral en entraînant les journaux dans le champ d’action du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications.

Le ministre Lacombe le sait trop bien. Encore en février, il tempêtait parce que son collègue du Patrimoine ne daignait pas accuser réception de sa demande légitime de prévoir un « mécanisme de consultation obligatoire et officiel du gouvernement du Québec » dans l’application de C-11. Des verrous supplémentaires adaptés à notre culture francophone minoritaire sont pourtant vitaux.

Ce n’est pas pour rien que M. Lacombe a pris la peine d’ajouter qu’il « est hors de question que l’avenir de la culture québécoise se décide à Ottawa » et que les Québécois ne peuvent pas se permettre « d’être de simples spectateurs » dans ce débat. On plussoie, notre avenir collectif en français en dépend.

Ce faisant, le ministre nomme lui-même l’éléphant dans la pièce. Québec aura beau multiplier les comités, les crédits d’impôts et autres leviers financiers, durcir ses lois, multiplier les ententes et revendiquer encore et toujours et sur toutes les tribunes, il lui manquera toujours l’essentiel. Le remède ultime, ici, c’est encore le rapatriement des pleins pouvoirs en culture. Rien de moins.

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