Vite, un Protecteur de l'élève

Gérer une classe à coups de cris, de menaces et d’insultes est un passeport automatique pour la suspension, à tout le moins si le méfait est enregistré et rediffusé par l’ensemble des médias du Québec, suscitant alors l’indignation généralisée. L’épisode de Sainte-Marthe-sur-le-Lac a scandalisé le Québec tout entier, semant le doute dans plusieurs esprits : les enseignants peuvent-ils perdre ainsi le contrôle et continuer leur petit bonhomme de chemin impunément ?

D’abord, qu’on se rassure : cette méthode indigne n’est pas répandue et « Mme Chantal » a sûrement très peu de disciples. Les enseignantes du Québec font un boulot difficile dans des conditions ingrates, et si la gestion de classe doit régulièrement les entraîner à pousser nombre de soupirs, rien n’indique que les professionnelles de l’enseignement succombent à ce type de violence éhontée. Ce n’est pas parce que l’affaire est exceptionnelle qu’elle ne soulève pas pour autant des questions auxquelles il importe de s’attarder.

Gestion de classe et épuisement des troupes. La gestion d’une classe est un art, un don ou une vocation, mais l’augmentation galopante des élèves en difficulté et ayant des troubles de comportement dans une même classe ajoute une telle lourdeur à cette composante de la tâche que c’est devenu un véritable fardeau, voire une mission impossible. Le plaisir du défi ne domine plus, laissant place à l’éreintement. Cet obstacle épuise non seulement les principales intéressées, qui s’absentent de plus en plus et longtemps du travail, mais il vient directement atteindre la capacité d’enseigner.

Le problème n’est pas nouveau, mais la situation s’aggrave. L’idée du ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, d’inviter des « aides à la classe » sous la forme d’éducatrices en service de garde connaissant les airs de l’école, et les enfants, pourrait s’avérer LA bouffée d’air attendue par les enseignantes. Un enfant se désorganise en classe au point de perturber l’enseignement en cours ? L’aide à la classe se destine uniquement à cet élève, ce qui permet à l’enseignante de vaquer à son occupation principale. La méthode n’est pas infaillible, mais elle peut certainement soulager une portion du problème. Vivement qu’on puisse la mettre en place.

Protecteur de l’élève et ordre professionnel. L’idée d’un ordre professionnel des enseignants destiné à récolter les plaintes du public et à protéger les enfants revient invariablement dans le discours public. Le débat fit rage au début des années 2000, et même la Coalition avenir Québec en avait fait une de ses promesses avant de remiser cette idée en 2022. Dans un réseau d’éducation où s’additionnent les urgences, il faut choisir ses combats, et celui-là n’a aucune raison d’occuper l’avant-scène.

L’idée de créer un ordre professionnel s’est davantage apparentée au fil du temps à une volonté criante de « professionnaliser » et de valoriser le travail des enseignantes, plutôt qu’à se doter d’un organe de protection du public. Chaque fois que ce fut évalué, on conclut qu’il n’était pas opportun de créer un ordre. Nous croyons que c’est encore le cas.

Toutefois, les mécanismes d’encadrement de la profession en place sont-ils suffisants, appropriés, efficaces ? Vaste question. Dans le cas qui a fait la manchette, un précieux enregistrement a provoqué coup sur coup une enquête de police, une autre du centre de services scolaire et une troisième du ministère de l’Éducation, assurant une triple protection. Mais sans enregistrement, comment les choses se seraient-elles passées ? Cette enseignante sévissait sans nul doute depuis un moment. Le système n’a rien pu prévenir ? La protection syndicale empêchait de bâtir un dossier et de sévir ? L’équipe-école n’a pu se concerter pour réclamer une action ? Les parents ne savaient pas vers qui se tourner sans crainte de représailles ?

En septembre prochain, un Protecteur de l’élève national ajoutera un verrou de sûreté indépendant pour ces situations qui manifestement bafouent les droits des élèves. Cet ombudsman de l’éducation promet un « nouveau processus de traitement des plaintes simplifié, accessible et crédible », comme s’y engage le gouvernement. Son indépendance devrait ajouter un certain crédit à son action, mais les mots-clés demeurent simplicité, accessibilité et célérité.

Pénurie de personnel. Le contexte de manque de personnel dans les écoles ne viendra pas embellir un portrait déjà inquiétant en matière de gestion de classe difficile. Le vaisseau amiral de l’éducation prend l’eau : les futurs maîtres sont difficiles à attirer et à garder sur les bancs d’université ; les enseignantes en place s’absentent de plus en plus, exténuées ; une importante part des novices, qu’on évalue à au moins 20 %, quittent la profession moins de cinq ans après y être entrées. C’est gravissime. Malgré la tentation créée par l’urgence, il faudra absolument résister au piège de l’abaissement des exigences. La gestion de classe dans le contexte exigeant d’aujourd’hui n’est pas une compétence qui s’improvise, mais qui s’apprend.

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