L’abandon du 3e lien est un moment de vérité pour Québec
L’heureux recul du gouvernement Legault sur le troisième lien ne se fait pas sans heurt au sein du caucus caquiste et des élites locales de la Rive-Sud dans la région de Québec, mais il s’agit d’une décision raisonnée riche en leçons de gouvernance et de responsabilité.
C’est peut-être le moment de vérité pour Québec et sa grande région, un territoire hostile et inhospitalier pour les projets de transport collectif, comme en atteste la ferveur quasi mystique d’une partie de la population à l’égard de cet injustifiable tunnel autoroutier qui aurait relié Lévis au centre-ville de Québec, ou encore l’indignation suscitée par le tramway. Pour ce faire, il faudra que les voix comme celle du maire de Québec, Bruno Marchand, soient davantage entendues et appuyées par l’électorat de l’agglomération.
Disons-le franchement, dans les réactions courroucées des maires de banlieue se disant floués, trahis, bernés et ainsi de suite, nous décelons l’expression d’un vieux droit acquis qui existe dans la région de Québec et d’autres agglomérations où la bétonneuse est passée sur les principes d’aménagement du territoire. C’est le « droit du char » d’aller du point A au point B sans entrave, sans piétons ou cyclistes, et de trouver un stationnement (pas trop cher, voire gratuit de préférence) aux deux extrémités du trajet. Ce monde a assez duré.
Les propos tranchants d’élus comme le maire de Lévis, Gilles Lehouillier, ou le préfet de la MRC de Bellechasse, Yvon Dumont, montrent l’étendue du fossé culturel. Il y a dans leur réaction un refus du transport collectif entremêlé d’un je-m’en-foutisme en matière de lutte contre les changements climatiques qui donne à penser que nous avons besoin de pousser encore un peu plus loin le renouvellement de la classe politique municipale amorcé lors du dernier scrutin. Il nous faut d’autres Bruno Marchand, maire de Québec et partisan des transports collectifs. Plus de Stéphane Boyer, maire de Laval et auteur d’un surprenant ouvrage (Des quartiers sans voitures, Somme toute), un essai qui aurait été impensable de la part d’un élu venant du paradis de la voiture et du bungalow il y a quelques années à peine.
Il faut dire que les élus de la Rive-Sud ont été encouragés dans leurs lubies par les élus de la CAQ au fil des ans. Pas plus tard que l’an dernier, le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, affirmait le plus sérieusement du monde que le troisième lien agirait comme un frein à l’étalement urbain. Les ténors caquistes ont tout fait pour promouvoir le projet, quitte à balayer sous le tapis des études d’impact contraires à leurs intérêts. Dans une affirmation qui n’aurait pas passé le test des normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada, l’ex-journaliste Bernard Drainville concluait de façon péremptoire, lors de la dernière campagne électorale, que la congestion était devenue in-fer-nale à Québec. Il a confondu des travaux temporaires sur le pont Pierre-Laporte avec une situation permanente.
Lâchez-moi avec les GES, disait-il. Lâchez-nous avec les études, la rigueur, le sens des responsabilités ministérielles. Lâchez-nous avec l’équité intergénérationnelle… Et laissez-nous dorloter l’électorat dans une belle fable populiste à 6,5 milliards de dollars. Si les élus caquistes doivent s’excuser, ce n’est pas tant pour avoir laissé tomber leurs engagements que pour avoir succombé à la démagogie depuis le début de l’aventure du troisième lien.
La grande région de Québec a besoin d’investissements structurants en transport collectif, surtout pas de nouvelles capacités autoroutières. Comment y parvenir ? C’est tout un défi dans le contexte singulier de Québec. Dans notre section Idées, le directeur général de Vivre en ville, Christian Savard, lance des propositions originales pour maximiser le potentiel d’un troisième lien réservé au transport collectif.
Avant d’en arriver là, le gouvernement Legault doit avoir le courage de dire aux citoyens que les exigences de la lutte contre les changements climatiques militent pour une densification du territoire et une expansion des projets de transport collectif. Ça suffit, les autoroutes ! C’est un changement de mentalité radical, qui exige au préalable que la CAQ renonce au clientélisme bon marché auquel elle s’est livrée jusqu’à présent dans ce dossier mal ficelé.