Ces agriculteurs qui en arrachent
Alors que le gouvernement caquiste cherche à accroître l’autonomie alimentaire du Québec, de nombreux agriculteurs connaissent de sérieuses difficultés tandis que le géant de la transformation et de l’intégration porcines Olymel, dont le modèle d’affaires, de son propre aveu, est à revoir, vacille.
Réalisé en mars, un sondage de l’Union des producteurs agricoles (UPA) auprès de 3675 producteurs montre une situation préoccupante. Près de 20 % des exploitants agricoles se disent en mauvaise ou très mauvaise santé financière, et près de la moitié d’entre eux s’attendent à une détérioration de leur situation au cours des 12 prochains mois. Le tiers des agriculteurs n’arrivent pas à couvrir leurs obligations financières, et un producteur sur dix prévoit fermer ses portes au cours de la prochaine année.
Même si les revenus des agriculteurs ont progressé en raison de la hausse des prix des aliments, le coût des intrants, notamment les engrais, le carburant et l’alimentation animale, a augmenté davantage, ce qui a réduit les bénéfices. Mais c’est la hausse des taux d’intérêt qui fait craindre le pire : près de la moitié des prêts agricoles doivent être renouvelés à court terme à des taux bien supérieurs.
S’ils sont bien capitalisés, les producteurs laitiers ainsi que les grandes cultures s’en tirent plutôt bien. Ce sont les entreprises en démarrage, celles de la relève agricole, fortement endettées, qui sont les plus affectées ainsi que les fermes d’élevage dans les régions éloignées, que ce soit en Abitibi-Témiscamingue, dans le Bas-Saint-Laurent, dans Charlevoix ou au Saguenay–Lac-Saint-Jean, qui ploient sous le poids des coûts de l’alimentation animale et du transport. Et il y a ces producteurs vertueux qui se sont endettés pour moderniser leur ferme afin d’améliorer le bien-être de leurs animaux ou de pratiquer une agriculture durable.
Tandis qu’un grand nombre d’agriculteurs au Québec s’apprêtent à partir à la retraite, s’assurer que des jeunes prendront leur relève ou, s’ils l’ont déjà fait, qu’ils conserveront leurs fermes est un enjeu crucial. Il y va des visées d’autonomie alimentaire du gouvernement Legault. Selon des données canadiennes qui viennent de paraître, 40 % des exploitants agricoles prendront leur retraite au cours de la décennie. La situation n’est guère différente au Québec, où la moyenne d’âge des agriculteurs est de 53 ans. En parallèle, la relève doit composer avec une explosion des prix des terres agricoles.
Faire en sorte que des fermes d’élevage puissent essaimer au Québec sur des pâturages qui conviennent bien à cette activité est aussi une affaire d’autonomie alimentaire et, de surcroît, un enjeu d’occupation du territoire.
Le gouvernement caquiste est conscient de la pression insoutenable qu’exerce la flambée des taux d’intérêt sur la relève agricole. L’UPA demande une aide financière ciblée pour les entreprises en difficulté sous forme de prêts garantis pour la consolidation de leurs dettes doublés du paiement différé des intérêts. Quant aux fermes d’élevage en régions éloignées, les programmes actuels, notamment l’assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA), pourraient être adaptés pour tenir compte de leur situation particulière.
Les déboires d’Olymel sont d’un autre ordre. On peut se demander si cette filiale de Sollio (anciennement la Coop fédérée) n’est pas victime de sa propre incurie. L’acquisition de l’intégrateur porcin F. Ménard en 2019, au coût d’un milliard, dit-on, n’a pas été heureuse. En 2021, le gouvernement du Québec et Investissement Québec ont lancé une bouée de sauvetage à Olymel en injectant 150 millions dans son capital. En 2022, le géant a radié 248 millions pour un « écart d’acquisition », un euphémisme pour dire qu’elle a payé trop cher, tout en s’endettant lourdement. La semaine dernière,elle annonçait la fermeture plus tard cette année de ses installations de Vallée-Jonction, ce qui entraînera la mise à pied de 1000 personnes.
Or Olymel est sur le point de bénéficier d’une autre aide du gouvernement. Les Éleveurs de porcs du Québec se sont entendus pour réduire leur production d’un million de porcs sur un volume annuel de 6,8 millions de bêtes grâce à un programme de rachat qui devrait coûter 80 millions, dont les deux tiers seraient aux frais des contribuables. Le plus important intégrateur de l’industrie est donc payé pour se rationaliser. Le moins qu’on puisse exiger, c’est que toute la lumière soit faite sur cette déconfiture. Elle doit conduire à un examen en profondeur de cette filière d’exportation porcine qui s’abreuve goulûment aux mamelles de l’État, un examen qui devra porter sur des considérations tant économiques qu’environnementales.