Décentraliser en centralisant
Le diable est dans les détails, disent les Anglos. Et des détails, il y en a une pléthore dans les 308 pages et les 1180 articles que contient le projet de loi mammouth présenté mercredi par le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé. Et ces détails pourraient se transformer en écueils vu l’opposition que le projet de loi 15 suscite chez les syndicats des salariés du réseau, mais aussi chez le puissant syndicat que constitue la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ).
Tout le monde s’entend toutefois sur le fait que notre système de santé doit être réformé en profondeur et sa gestion, révolutionnée. Les quatre thèmes que le ministre a exposés mercredi ne peuvent que faire consensus : améliorer l’accès aux services de santé, offrir ce que le ministre appelle une « expérience patient » à la hauteur et se mettre à l’écoute des usagers, faire en sorte que le réseau de la santé devienne un employeur de choix et, enfin, rétablir une gestion de proximité en nommant des cadres responsables dans chacun des hôpitaux et autres « installations », pour reprendre le vocable quelque peu réducteur qu’utilisent les hauts fonctionnaires.
Or, il est évident que la réforme que met en place le projet de loi 15 centralise la gestion du réseau, même si Christian Dubé prétend que ce n’est pas le cas. Le fait de séparer la pleine responsabilité des activités, confiée à une agence, des orientations, qui restent au ministère, est en soi une décentralisation, soutient le ministre. C’est un peu court puisque Santé Québec deviendra l’employeur unique pour les 350 000 employés du réseau, remplaçant dans ce rôle les 34 établissements que sont les centres hospitaliers universitaires ainsi que les CIUSSS et les CISSS.
Cette agence autonome, c’est une structure courante pour les réseaux publics de santé dans le monde, bien que ce ne soit pas le seul modèle, comme le montre une revue préparée par la commissaire à la santé et au bien-être, Joanne Castonguay. Cette structure comporte certains avantages et elle fut l’objet de recommandations de différents rapports, dont celui de la commission Clair et de la commission Castonguay.
Avec la création de Santé Québec, le gouvernement nommera des directeurs médicaux d’établissement et des directeurs médicaux territoriaux chargés d’assurer une meilleure répartition des médecins, qu’ils soient spécialistes ou omnipraticiens.
Pour la gent médicale, le grand changement vise les médecins spécialistes, à qui le gouvernement imposera une responsabilité populationnelle. Leur droit de pratique sera assujetti à la prise en charge d’« activités médicales particulières », a précisé le ministre. Ils devront, notamment, assurer des gardes à l’hôpital et partager des horaires défavorables à l’urgence. C’est le directeur médical qui aura la responsabilité d’affecter les spécialistes et qui accordera à chaque médecin spécialiste ses « privilèges », ce droit de pratique.
Les médecins spécialistes sont des travailleurs autonomes, voire des entrepreneurs, des électrons libres, disent certains experts en management, qui ne font pas nécessairement bon ménage avec les organisations complexes et technocratiques du réseau de la santé. On comprend qu’à la FMSQ, les changements qui les touchent ne passent pas comme une lettre à la poste. La troisième guerre mondiale, dont parle Gaétan Barrette, est là.
Paradoxalement, au-delà de cette centralisation, il existe chez Christian Dubé une volonté de décentraliser le réseau en nommant des directeurs dans chacun des hôpitaux, des CHSLD et des autres entités. Il est bon de rappeler que ce ne sont pas les grandes structures, mais ces établissements bien concrets qui sont le point de contact avec la population, et c’est avec eux que le personnel soignant peut développer un sentiment d’appartenance. Il faudra voir quels pouvoirs et quelle initiative seront réservés à ces cadres au sein de la mégastructure de Santé Québec afin qu’ils puissent avoir un effet réel sur le plancher des vaches, là où ça compte finalement.