N’en déplaise à la CAQ, les écoles sont encore en ruine

Lors des deux dernières campagnes électorales, la Coalition avenir Québec (CAQ) a inscrit la rénovation des écoles primaires et secondaires au rang d’« urgence urgente » et de « priorité prioritaire », et ce, au nom de l’importance d’offrir un environnement sain et de qualité aux élèves. Cela fait des lustres que l’on documente la vétusté des écoles, dont la moitié sont en ruine. On a maintes fois souligné à grands traits que ce recul immobilier, résultats de décennies de négligence en matière d’entretien, est une honte nationale.

Difficile, donc, de trouver un dossier où le consensus politique et social n’est pas aussi… béton. Quelle mouche a donc piqué le premier ministre François Legault et son sbire de l’Éducation, Bernard Drainville, pour qu’ils remettent soudainement cela en question ? En marge du dépôt du budget Girard, où on apprenait du dernier Plan québécois des infrastructures que ce sont désormais 61 % des écoles qui sont en « mauvais » ou en « très mauvais » état, les deux hommes ont émis des « doutes » quant à la démarche qui sert à coter les écoles, à leur donner une note de A à E en fonction de l’état des structures. M. Legault a même demandé au ministre responsable des Infrastructures, Jonatan Julien, d’aller creuser sous ces cotes pour savoir ce qu’elles veulent vraiment dire. Sous-entendu : y aurait-il eu de l’exagération ?

Ce revirement est étrange, pour ne pas dire dérangeant. Il camoufle une impatience mal dissimulée du gouvernement à l’endroit des centres de services scolaires, vers lesquels est dirigée une insatisfaction manifeste. On aurait tort de reprocher au gouvernement de veiller à la bonne gouvernance de ces centres de services, entre lesquels passent des sommes faramineuses, mais la stratégie du « déni de vétusté » est forte de café, c’est le moins qu’on puisse dire.

Et si l’on veut se détacher des perceptions pour creuser les documents officiels, il suffit d’aller faire un tour du côté du vérificateur général du Québec, qui avait produit en 2019-2020 un chapitre entier sur la brûlante question des écoles aux toitures, murs et structures délabrés, qui causent de graves problèmes de qualité de l’air et de prolifération de champignons dans les classes. On y constatait alors qu’avec 54 % des bâtiments scolaires du Québec en mauvais état, le déficit de maintien d’actifs des bâtiments scolaires (en somme, les travaux qu’on aurait dû faire pour maintenir leur bon état) s’élevait à 4,5 milliards de dollars, le deuxième déficit en importance après celui du réseau routier. Un deuxième constat visait directement les centres de services scolaires, à qui on reprochait de ne pas avoir utilisé l’ensemble des sommes destinées à la rénovation des écoles au fil des ans. Ceci, en revanche, mériterait totalement l’attention du gouvernement.

Qu’en est-il, quatre ans plus tard ? Dans son dernier rapport annuel, la vérificatrice s’étonnait du « peu de progrès » dans le dossier des bâtiments scolaires depuis 2019. « Pourtant, ces […] recommandations ont une portée directe pour que les élèves et le personnel enseignant disposent d’un environnement sain et de qualité, et le peu de progrès réalisés pourrait faire en sorte que les lacunes observées perdurent au-delà d’un délai raisonnable », écrivait-elle. La CAQ peut bien revendiquer une meilleure reddition de comptes de la part des centres de services scolaires, mais il sera difficile de transformer des ruines en châteaux.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

À voir en vidéo