Se préparer à l’inévitable dérèglement climatique
En 1992, la Conférence de Rio a débouché sur des engagements internationaux visant le développement durable et la lutte contre les changements climatiques. Cet événement historique devait signaler le réveil de l’humanité face au péril climatique. Or, 31 ans après le Sommet de la Terre, comme on a désigné cette conférence, force est de constater que malgré certaines améliorations, le monde a continué sur une lancée funeste : les émissions mondiales annuelles de gaz à effet de serre (GES) sont aujourd’hui 50 % plus élevées qu’à cette époque, qui devait pourtant marquer un tournant.
Depuis la signature de l’Accord de Paris en 2015, dans lequel les pays signataires s’engageaient à viser l’objectif de contenir le réchauffement climatique à 1,5 degré Celsius par rapport à l’ère préindustrielle, les émissions de GES ont continué à augmenter. En 2022, les émissions de CO2 d’origine humaine ont grimpé à un sommet, soit 36,8 Gt ou 6 % de plus qu’en 2015. Il aura fallu une pandémie mondiale d’une ampleur inouïe en 2020 pour que les émissions reculent. Mais leur progression a repris par la suite.
Dans un rapport synthèse rendu public cette semaine et dont Le Devoir a fait état, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) indique que le réchauffement permanent de 1,5 °C deviendra réalité à moyen terme, c’est-à-dire dès la prochaine décennie, si l’humanité ne réduit pas ses émissions de GES de façon draconienne maintenant. Le climat se réchauffera inexorablement pour dépasser les +2 °C si le niveau actuel d’émissions est maintenu en raison de l’effet l’accumulation des GES dans l’atmosphère.
La « fenêtre d’opportunité », pour employer l’anglicisme tiré du rapport, est en train de se refermer. Si on s’en tenait aux politiques et aux mesures que les pays ont annoncées, c’est une augmentation moyenne de l’ordre de 3 °C qui nous attend à la fin du siècle.
Comme dans tous ses rapports, le GIEC fait un constat aussi froid qu’alarmant des répercussions du réchauffement. Chaque hausse d’un dixième de point de pourcentage au-delà de la cible de +1,5 °C a des conséquences néfastes et de plus en plus graves à mesure que les dixièmes de point s’additionnent. Les modélisations du GIEC, plus précises et fiables — la science climatique a fait de grands progrès depuis la création du groupe d’experts en 1988 —, révèlent des risques plus nombreux et plus élevés que dans le passé.
Les modélisations indiquent que les risques auxquels est exposée l’humanité ne sont pas également répartis. Le dérèglement du climat est profondément injuste. Ce sont les populations les plus pauvres, les plus démunies, qui en subiront les pires effets, alors que ce sont elles qui ont contribué le moins aux émissions de GES.
Fonte des glaciers, hausse du niveau des océans et perte des côtes habitées, sécheresses létales et inondations, famines risquent d’entraîner d’énormes déplacements de population. Si aujourd’hui, l’arrivée massive de migrants déchire l’Europe et encourage la montée d’une droite intolérante, si la droite américaine fait son pain et son beurre de l’immigration illégale, si on s’offusque de la situation des demandeurs d’asile qui entrent de façon irrégulière par le chemin Roxham, les pays riches — ceux-là qui sont historiquement les premiers responsables du réchauffement climatique — n’ont encore rien vu dans l’hypothèse où le mercure poursuivrait son ascension.
Au-delà des sombres perspectives et des avertissements impératifs, il y a toujours dans les rapports du GIEC de la place pour une forme d’optimisme. Les experts rappellent que des solutions existent, que la croissance des émissions annuelles a diminué grâce à certaines mesures et au recours à des technologies vertes, que c’est avant tout une question de volonté politique. Mais plus le temps passe, plus cet optimisme de bon aloi sonne faux.
Dans ce portrait mondial, le Québec, qui ne représente qu’une infime fraction des émissions mondiales de GES (moins de 0,2 %), est bien peu de chose, tandis que la Chine continue de construire des centrales au charbon, que les États-Unis et l’Europe en exploitent toujours et que les pays pétroliers, dont le Canada et l’Arabie saoudite, sont loin d’avoir renoncé à leur or noir. Mais même si le Québec ne compte pas dans l’équation, il a un devoir d’exemplarité.
Dans ce contexte, le gouvernement caquiste aurait intérêt à prévoir une coûteuse adaptation aux changements climatiques, comme le recommande le groupe d’experts Ouranos et comme le rappelle l’Union des municipalités du Québec. Le ministre des Finances, Eric Girard, a annoncé un milliard de plus pour l’environnement dans son dernier budget. Une part significative du Plan pour une économie verte, qui dispose de 9 milliards en cinq ans, doit être consacrée à se préparer à l’inévitable.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.