Le beurre et l’argent du beurre
Béni par un contexte financier favorable, le ministre des Finances, Eric Girard, a présenté un budget qui remplit l’engagement de la Coalition avenir Québec de réduire les impôts tout en apportant un financement accru pour les missions essentielles de l’État que sont l’éducation et la santé.
On ne peut accuser le gouvernement Legault de sacrifier les services publics pour offrir les baisses d’impôt promises puisque c’est une diminution des versements prévus au Fonds des générations qui financera l’allègement du fardeau fiscal. Au lieu de 10 ans, il faudra 15 ans pour atteindre un nouvel objectif : réduire à 30 % le ratio de la dette nette sur le produit intérieur brut (PIB), soit retrancher 7,5 points au présent niveau. Comme le gouvernement Legault aime beaucoup les comparaisons avec l’Ontario et les autres provinces, ce nouveau pourcentage représente la moyenne actuelle dans l’ensemble des provinces sans le Québec. Il est à noter que cette nouvelle cible est ainsi promulguée sans qu’il y ait eu de débat public.
Lors du huis clos, Eric Girard a déploré que la classe moyenne québécoise paie davantage d’impôt sur le revenu que les Ontariens. Dans les documents budgétaires, il est mentionné que le poids de l’impôt des particuliers par rapport au PIB était de 14,7 % au Québec, contre 12,7 % dans les autres provinces en moyenne. C’est un écart de 15 %.
Eric Girard a avancé que les baisses d’impôt stimuleraient l’activité économique alors que le ralentissement s’accentuerait au cours des deuxième et troisième trimestres de 2023. Le ministre prévoit une croissance à peu près nulle à la fin de l’année, mais pas de récession digne de ce nom.
Le discours sur le paradis des familles — l’accès à des services de garde à contribution réduite ainsi que des droits de scolarité universitaire bien inférieurs — n’est plus de mise. Pas un mot non plus sur le caractère progressif de l’impôt sur le revenu au Québec, associé au crédit d’impôt pour solidarité, ainsi que sur la relation entre le coût de la vie et le revenu disponible, qui favorisent les Québécois.
Le gouvernement caquiste s’en est tenu à la première tranche de sa promesse électorale, avec une réduction de 1 % des taux des deux premiers paliers d’imposition. Le ministre s’est gardé une petite gêne et n’a pas programmé les baisses de 0,25 % par an pour les quatre années subséquentes. Plusieurs économistes ont souligné les risques que présente une réduction, de façon permanente, de la marge de manœuvre du gouvernement.
De même, les partis d’opposition ont souligné avec justesse que les baisses d’impôt favorisaient les plus hauts salariés en termes absolus et ne donnaient rien à ceux qui ne paient pas d’impôt. Le ministre s’est défendu en rappelant d’autres mesures déjà annoncées, dont le crédit d’impôt d’un maximum de 2000 $ pour les personnes âgées de 70 ans et plus.
C’est le cinquième budget d’Eric Girard, et il a pu encore une fois dégager des revenus qui ont excédé son cadre financier. Ainsi, les revenus autonomes ont dépassé de 6,7 milliards ses prévisions, ce qui a permis au gouvernement d’engager de nouvelles dépenses de l’ordre de 5,5 milliards depuis mars 2022 tout en réservant un peu plus d’un milliard pour les initiatives annoncées dans le présent budget.
Fidèle à son profil économique, le gouvernement caquiste reconduit le congé fiscal pour les grands projets, tout en le bonifiant. Il prévoit financer, d’ici la fin de 2029, 100 projets qui totaliseraient des investissements de 24 milliards. Après l’échec que représente le choix de Volkswagen d’implanter son usine de batteries en Ontario, il faudra voir si le Québec aura l’électricité et la main-d’œuvre nécessaires pour réaliser cette ambition.
En éducation, le budget s’accroît de 6 %, ce qui correspond à la croissance moyenne lors du premier mandat du gouvernement caquiste. L’enseignement supérieur voit son enveloppe s’épaissir de 5 %. Pour la santé et les services sociaux, le ministre Christian Dubé aura droit à une hausse de 7,7 % pour, notamment, réaliser sa réforme du système. Sur un ajout de 5,6 milliards, plus de 3 milliards iront au Plan santé, notamment à la création de cliniques de première ligne réunissant des infirmières praticiennes. Au regard d’un budget total de 59 milliards, l’entente avec le gouvernement Trudeau sur le financement de la santé, qui n’est pas encore officiellement signée, d’ailleurs, compte pour peu : au net, toutes catégories confondues, les transferts fédéraux n’augmentent que de 516 millions en 2023-2024, et font du surplace l’année suivante.
Même si l’économie a ralenti, les effets de l’inflation sur les finances publiques ont été bénéfiques. En ce sens, ce ministre des Finances semble béni des dieux, du moins le dieu du fric, ce qui lui permet d’avoir le beurre — soit de financer adéquatement les principales missions de l’État — et l’argent du beurre — c’est-à-dire de consentir des baisses d’impôt. On peut toutefois se demander combien de temps encore les dieux lui seront favorables.