La biographie de l’amie Ginette à la pharmacie

Le producteur Nicolas Lemieux veut ébranler les colonnes du temple en offrant le disque et la biographie de Ginette Reno uniquement en ligne et en exclusivité là où l’on trouve déjà « de tout… même un ami ». Sa proposition ne réinvente pas la roue. En 1982, Roger Lemelin avait confié l’exclusivité du premier tirage de son Crime d’Ovide Plouffe au géant de l’alimentation Provigo. Le milieu du livre avait protesté sans voir ses fondements en être ébranlés.

On peut s’attendre à des résultats semblables avec ce coup de force dans les Jean Coutu. Si Lemieux peut se le permettre, c’est qu’il tient un as dans sa manche. Avoir une Reno dans son jeu, c’est comme avoir un Fiori ou une Céline à son palmarès ; on peut déjà prédire qu’à elle seule, Ginette (à quatre mains avec Lambert) risque de tirer les ventes de livres vers le haut.

Sans elle, toutefois, le plan purement commercial de Lemieux pour secouer la chaîne du livre, c’est du vent. Et c’est peut-être cette confusion qui dérange le plus.

L’homme d’affaires a raison de dire qu’il faut se demander si la chaîne du livre est adaptée aux temps présents. Mais le livre n’est pas un bien de consommation comme les autres. On peut bien en attraper un à l’occasion, entre un mascara et des capsules antiacides, mais une production littéraire nationale digne de ce nom a besoin d’espaces attitrés, en librairies et en bibliothèques, où l’on dispense ce qu’il faut de lumière et de soins, pour fleurir.

Ceux qui dénoncent un pied de nez à la culture ont donc raison : il s’agit bien d’un assaut déloyal contre une chaîne dont les équilibres sont nécessaires à la vitalité de notre littérature. Une chaîne d’ailleurs semblable à celle sur laquelle s’appuient plusieurs cultures nationales dans le monde.

Nicolas Lemieux s’en défend et en fait plutôt une question d’équité. Dans l’écosystème actuel, dit-il, l’auteur travaille pour des prunes (10 % des profits contre 40 % pour le libraire, 30 % pour l’éditeur et 20 % pour le distributeur). Il oublie de dire que tous les maillons ne prennent pas le même risque. Secouer la Loi sur le livre pour mieux en répartir les charges pourrait tout de même être intéressant. Mais pas pour accoucher d’une solution simpliste et univoque comme celle qu’il propose ici dans la foulée de ses succès avec Harmonium symphonique.

Le livre québécois a connu un bond phénoménal en 2021 et a maintenu ses acquis en 2022. À l’heure où le milieu est agité par le virage de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois vers un syndicat, il n’a pas besoin qu’un matamore solitaire vienne lui faire la leçon. Surtout si c’est juste pour ajouter à la division.
 

 

Une version précédente de ce texte, qui identifiait erronément le nom de l'auteur du Crime d’Ovide Plouffe, a été modifiée.

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