Le Samson de la santé
Dans son allocution prononcée la semaine dernière à Montréal, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a promis que son projet de loi sur l’efficacité du réseau de la santé, qu’il entend présenter tôt ce printemps, allait « shaker » les colonnes du temple. Ce projet de loi ne se limitera pas à la création de Santé Québec, une agence qui redéfinit le rôle du ministère et du ministre en les éloignant du plancher des vaches.
Alors que son collègue, le ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, lançait une publicité en franglais où il est question d’une espèce en voie de disparition, le faucon pèlerin, Christian Dubé est venu en quelque sorte appuyer, bien involontairement, peut-on croire, le message ironique du gouvernement.
Devant les participants à ce forum placé sous le thème de l’innovation, Christian Dubé a affirmé que son Plan santé, lancé l’an dernier, « va demander beaucoup, mais à tout le monde », que ce soit aux syndicats — de ce côté-là, une résistance certaine, surtout chez les infirmières échaudées que représente la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), s’est manifestée —, aux médecins ou aux gestionnaires.
Déjà, en 2008, Claude Castonguay recommandait la création d’une telle agence. Selon lui, le ministère était trop impliqué dans la microgestion du réseau, les décisions partaient du haut vers le bas, le contrôle des coûts était à courte vue, et les missions des établissements, mal définies, comme le rappelle la sous-ministre Dominique Savoie dans son rapport de juin 2022 sur les changements à apporter au réseau de la santé.
La fille de l’ancien ministre et actuelle Commissaire à la santé et au bien-être, Joanne Castonguay, allait dans le même sens que son père dans son rapport de 2022. La mission du ministère doit se centrer sur la définition des objectifs et des orientations stratégiques, l’évaluation de la performance et le suivi des résultats.
Mais cette agence, qui établit une plus grande distance entre le politique — le ministre — et la gestion au jour le jour du réseau, ne peut être une panacée. Comme le reconnaît d’ailleurs Christian Dubé, d’autres pièces du casse-tête — c’est l’image employée dans le Plan santé — devront s’adjoindre. Et même si l’agence procure au ministre une forme de zone tampon, sa responsabilité ne manquera pas d’être invoquée en cas de ratés ou si les améliorations promises ne sont pas, une fois encore, au rendez-vous. Comme le soulignait au Devoir l’ancien p.-d.g. de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal David Levine, la santé est un domaine « très politique » et « très médiatisé ». Le ministre ne pourra pas se réfugier derrière cette structure si le cafouillage dans un établissement fait les manchettes.
En ce sens, le fiasco informatique à la Société d’assurance automobile du Québec (SAAQ) est un éloquent cas d’espèce. Même s’il s’agit d’une société d’État autonome, dotée de son propre conseil d’administration, la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, de qui relève la SAAQ, a dû mettre la main à la pâte tandis que son collègue Éric Caire faisait son Ponce Pilate. Ça n’a guère réussi au ministre de la Cybersécurité et du Numérique.
Bien définir les missions respectives du ministère et du réseau est certes important. Mais rétablir la « gestion de proximité », pour reprendre l’expression du ministre, l’est tout autant. Cet étage de gestionnaires locaux avait été supprimé par l’ancien ministre Gaétan Barrette. Une erreur, soutient aujourd’hui ce dernier, causée par les coupes injustifiées imposées par le Conseil du trésor. Tout aussi cruciale est la transformation numérique du réseau, dont le dossier patient informatisé et le développement de l’information de gestion en temps utile.
L’innovation semble être le fin mot. Dans le cas d’une autre promesse électorale de la CAQ, le projet d’ouvrir deux mini-hôpitaux privés, l’un à Montréal, l’autre à Québec, relève en effet de l’expérimentation. Le gouvernement a sollicité des avis d’intérêt avant de lancer les appels d’offres, attendant que les promoteurs proposent leurs formules. S’il ne fait pas de doute que les médecins spécialistes afflueront dans ces établissements qui sont à la fois des supercliniques et des centres de chirurgies à haut volume, on peut se demander d’où viendront leurs infirmières, sinon du réseau public.
Ainsi, Christian Dubé veut ébranler les colonnes du temple. L’expression renvoie au destin tragique du personnage biblique Samson. Même si la traîtresse Dalila lui a coupé les cheveux, le privant de sa phénoménale force, l’homme est parvenu à faire tomber les colonnes du bâtiment, qui s’est cependant effondré sur lui. Pas sûr que cette métaphore soit la plus appropriée pour inspirer le ministre. Quoi qu’il en soit, un an après le lancement de sa réforme, les résultats du Plan santé sont modestes — de « petites victoires », dit le ministre — et le gros de l’ouvrage reste à faire.