Le défaitisme n’est pas une option

La mairesse de Montréal, Valérie Plante, y est allée d’un cri du coeur mardi au micro de Tout un matin. S’exprimant sur la spirale misérabiliste qui afflige le secteur Est du centre-ville, elle a exhorté Québec et Ottawa à en faire plus pour soulager la pression.

Mme Plante a dénoncé la lenteur inexcusable d’Ottawa dans la livraison des permis de travail aux migrants que le fédéral a choisi d’entasser à l’hôtel Place Dupuis, là où un refuge d’urgence pour les sans-abri avait été établi de 2020 à 2021. La présence des migrants, dit-elle, ajoute une autre population vulnérable dans le mille-feuille de détresse qu’est devenu le secteur de la place Émilie-Gamelin. Elle a aussi demandé des ressources accrues de Québec en intervention auprès des personnes qui éprouvent des problèmes de santé mentale ou de dépendance.

Entreprise citoyenne du quartier, Le Devoir est aux premières loges pour constater la détérioration du centre-ville. Nous l’avons choisi en toute connaissance de cause, ce quartier, volontaires pour participer à cette expérience permanente de mixité sociale qu’on ne retrouve nulle part ailleurs au Québec. Tous les jours, nous lisons sur des visages meurtris, désorientés, poqués, émaciés, le roman d’ingratitude que transporte la condition humaine.

Mais là, le verre de la misère déborde, et nous ne sommes pas les seuls à le penser. La paupérisation du quartier est en cause dans la fermeture de la librairie iconique d’Archambault. Elle insécurise les citoyens qui expriment leur ras-le-bol dans nos pages. Certains songent à quitter le quartier en raison de l’effritement accéléré des conditions minimales de sécurité.

Un citoyen interrogé par Le Devoir, Manuel Poitras, met le doigt sur le malaise. « J’ai l’impression qu’il y a une injustice. Il n’y a aucun autre endroit à Montréal où on accepterait ça », dit-il. « Ça », c’est la détresse qu’on choisit de parquer dans le Village gai sans se soucier de l’indignité des conditions de vie des citoyens et des populations vulnérables. « Ça », c’est la démission des élites politiques face à leurs responsabilités. Comme les citoyens du secteur Milton-Parc avant eux, ceux du centre-ville pèsent leurs mots pour ne pas stigmatiser des clientèles qui le sont déjà trop. Ils réfutent l’étiquette du « pas dans ma cour ». C’est juste que la cour est pleine.

La sortie de la mairesse Plante n’y changera rien. Le fédéral indolent n’améliorera pas sa capacité de livrer des services par enchantement malgré ses appels du pied. Et Québec n’a pas d’infirmières de réserve dans sa poche, débordé qu’il est avec l’indomptable bête des délais d’attente dans les urgences. Son cri du coeur nous fait oublier que la Ville de Montréal n’a pas épuisé toutes ses options.

La salubrité et la propreté du quartier, c’est dans la cour de Montréal. Idem pour la revitalisation urbaine, la reconversion de l’îlot Voyageur (propriété de la Ville depuis 2018) et la sécurité publique. En ce moment, les autorités municipales acceptent que des lieux publics et des édicules de métro se transforment en scènes de vente et de consommation de drogue. Le message que cette faune bigarrée reçoit, c’est que le centre-ville est un safe space propice à toutes les incartades.

Quant aux citoyens, on leur offre le choix de l’exil ou d’une cruelle résignation. Ce n’est pas une politique digne des valeurs progressistes de Projet Montréal. L’été dernier, la Ville a lancé le Forum du village, une consultation publique des citoyens et organismes du quartier. Les résultats seront connus cet hiver, et ce ne sera pas trop tôt. La mairesse Plante devra se faire la principale porteuse d’un projet d’engagement des parties prenantes, y compris les milieux d’affaires, pour redresser le centre-ville avant qu’il ne soit trop tard. C’est seulement en exerçant un véritable leadership mobilisateur que Montréal pourra avoir une influence sur Québec et sur Ottawa.

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Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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