Cohérence médicale pour les migrantes enceintes
Les enfants ne naissent pas d’une fleur : la santé de la mère est intimement liée à celle de l’enfant. La jolie formule utilisée par Médecins du monde résume bien l’incohérence de refuser aux mères ce qu’on a bien voulu accorder à leurs petits à venir, soit une couverture de santé bétonnée par un accès sans condition (sinon celle d’être présents sur le territoire plus de six mois) aux régimes d’assurance maladie et d’assurance médicaments, peu importe leur lieu de naissance ou le statut migratoire de leurs parents.
Il n’est pas inutile de rappeler que le projet de loi 83, qui a permis cette avancée, a été adopté à l’unanimité à l’Assemblée nationale en juin 2021. Guidés par des objectifs « d’équité et de solidarité », les partis n’avaient alors pas manqué de réclamer la même chose pour les mères en devenir. Il est bien documenté que l’absence de suivi de grossesse vient avec des risques accrus notamment de fausse couche et de césarienne, mais aussi de prématurité, de détresse foetale et de petits poids chez les nouveau-nés.
Outre leurs effets délétères sur les humains concernés, ces éléments pèsent lourd sur notre système de santé engorgé, en plus de nous coûter collectivement plus cher à long terme. Sensible à tous ces arguments tant éthiques et sanitaires qu’économiques, le ministre de la Santé, Christian Dubé, avait immédiatement mandaté la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) afin qu’elle évalue les options qui s’offrent pour combler cette brèche.
Déposé en juin dernier, son rapport présente quatre solutions, dont le statu quo, qui va contre la volonté parlementaire. Au vu et au su des cas déchirants rapportés par les médias ces derniers mois, et dont le nombre grandit à vue d’oeil, il est clair que cette option n’en est pas une. Au Québec, un accouchement sans complications après un suivi de grossesse normal aura coûté entre un peu moins de 10 000 $ et jusqu’à près de 20 000 $ à qui n’a pas d’assurance maladie. Pour nombre de femmes enceintes à statut précaire, une facture de cette ampleur agit non seulement comme un frein, mais aussi comme un accélérateur de paupérisation terrible.
Ceux qui agitent l’épouvantail du tourisme médical dans ce dossier n’ont pas complètement tort. Ce phénomène existe bel et bien au Canada, nourri notamment par ce qu’on pourrait appeler une double citoyenneté de complaisance. Le Québec n’y échappe pas, lui qui a un fructueux historique en matière de tourisme obstétrique, rappelle la RAMQ. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici.
Ce dont il est question, c’est d’une couverture d’assurance maladie pour les soins de santé sexuelle et reproductive accessible à toutes les femmes qui vivent au Québec (et non pas celles qui y transitent pour en soutirer le meilleur avant de repartir avec leur petit bonheur sous le bras), indépendamment de leur statut migratoire. Plusieurs pays offrent déjà ce genre de formules, comme la France, la Belgique, l’Allemagne et même quelques États du voisin américain, pourtant peu réputé pour sa générosité en matière de soins de santé.
Le Québec peut en faire autant pour les quelque 2000 femmes concernées par année, selon l’évaluation de la RAMQ. Celle-ci a retenu trois formules qui pourraient avoir des bienfaits notables dans la trajectoire de ces femmes et de leurs enfants à naître. Cela va de l’élimination de la surcharge de 200 % des coûts engagés imposée actuellement à la gratuité pour toutes, en passant par la gratuité pour les femmes migrantes qui répondent à des critères de vulnérabilité (comme la pauvreté et la sous-scolarisation).
Le ministre Dubé dit attendre les conclusions du groupe de travail censé soupeser ces options et en évaluer la faisabilité pour trancher. L’affaire n’est pas simple : il faudra être équitable tout en empêchant tous les abus possibles afin de garder une saine gestion du régime. Souhaitons, surtout, qu’il ne tarde pas.
À force de se déchirer sur le chemin Roxham, on a fini par perdre de vue une valeur cardinale chère aux Québécois, celle de prendre soin de notre monde. Indépendamment du nombre d’immigrants que le Québec veut ou peut accueillir — et qu’il faudra bien définir un jour —, des femmes sans statut vivent leur grossesse ici, maintenant. C’est fâcheux, mais une grossesse ne se met pas sur la glace.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.