C-11 et le Québec, un ver dans le fruit

La spécificité culturelle québécoise est une espèce menacée, qui mérite qu’on se batte bec et ongles pour elle. Le ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, a parfaitement raison de se montrer pugnace dans le dossier de la diffusion continue en ligne, puisque c’est d’abord sur ce terrain que le sort de notre souveraineté culturelle sera scellé.

On a déjà exprimé en ces pages notre exaspération quant aux multiples lenteurs qui ont plombé le projet de loi C-11 sur la diffusion continue en ligne et quant à sa première version, C-10, morte au feuilleton. L’urgence de l’adopter n’est pas moins vive aujourd’hui. On la réitère même avec force. Mais faut-il que ce soit au prix d’un aplaventrisme forcé par l’absence d’un « mécanisme de consultation obligatoire et officiel du gouvernement du Québec » tel que le réclame légitimement M. Lacombe dans sa lettre sentie au pilote de cette réforme, Pablo Rodriguez ? Certainement pas.

Cette loi qui vise à faire contribuer les Netflix et YouTube de ce monde à l’écosystème culturel canadien ne peut pas se contenter de simplement énoncer sa dualité linguistique en guise de sauf-conduit. En réalité, cette dualité est douloureusement asymétrique, voire injuste dans son application et sa défense au pays. Il n’y a qu’à voir le rififi autour de la réforme de la Loi sur les langues officielles, torpillée par ceux-là mêmes qui devraient pourtant la défendre, pour s’en convaincre.

Minoritaire dans un océan de culture canadienne anglophone soumis à la toute-puissance du tsunami étasunien, la spécificité culturelle québécoise a besoin de verrous supplémentaires pour éviter d’être avalée par plus gros qu’elle. L’adoption à l’unanimité par l’Assemblée nationale d’une motion exigeant que le Québec « soit consulté dans le respect de ses champs de compétence quant aux orientations qui seront données au CRTC » tombe sous le sens.

C’est aussi l’avis des conservateurs, alliés objectifs du gouvernement Legault dans cet inélégant bras de fer. Il appartient au Québec de définir ses orientations culturelles pour protéger sa langue, sa culture et son identité. C-11, comme d’ailleurs le projet de loi C-18, qui vise l’équité et la viabilité du marché canadien des nouvelles numériques, ne saurait se soustraire à cet impératif. Le ministre Lacombe a raison de hausser le ton.

Si le ver est dans le fruit, et nous sommes plusieurs à penser qu’il y est, il faut que le ministre du Patrimoine canadien le retire vite fait, bien fait de sa réforme.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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