Sauver son âme (culturelle) avec cette chanson
« Quand on ne rit plus, c’est qu’on ne vit plus », chante Ferland, qui s’inquiète qu’on oublie sa tête et ses chansons dans Le chat du café des artistes. C’est un peu ce qui guette notre musique si celle-ci n’arrive plus à nos oreilles. Parce que le jour où on ne l’entendra plus, c’est qu’elle ne vivra plus.
Le malheur, c’est que nos écrans — petit, grand et numérique confondus — ont déjà du mal à imposer leur voix au-dessus de celle, tonitruante, des sirènes états-uniennes. Or, on apprenait cette semaine sous la plume d’Étienne Paré que, même avec des incitatifs puissants, la musique québécoise peine à faire son chemin jusqu’à nos propres séries télévisées ! Nos créateurs et nos producteurs vont devoir mieux se serrer les coudes si on ne veut pas être engloutis pour de bon sous le poids de l’américanisation.
En deux ans, le Programme de bonification des valeurs de production de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) n’a pas fait chou blanc. À preuve, les revenus tirés de la « synchro », ces titres vendus pour être synchronisés avec des images, ont augmenté en moyenne de 28 % chaque année à partir de 2019. Le hic, c’est qu’on aurait pu faire remarquablement mieux, moins de 40 % des projets télévisés ciblés ayant tiré profit de ce programme.
Sans plaider pour l’instauration de quotas dont le caractère prescriptif est un repoussoir, il y a des puces à secouer dans l’industrie. Certaines idées reçues doivent être démontées, au premier chef celle voulant que la chanson québécoise plaise moins à un public télévisuel qu’on mésestime, par ailleurs, grandement. Les sceptiques n’ont qu’à regarder du côté de géants comme Dolan et Vallée pour s’en convaincre. Notre musique peut frapper juste et bien. Elle peut aussi frapper loin : c’est un Montréalais, Cristobal Tapia de Veer, qui signe la musique du phénomène The White Lotus.
Dans 1990, de Leloup, une chanson, celle du DJ, a le pouvoir de sauver une âme. Une chanson seule ne suffira pas à sauver l’âme de notre culture, mais plusieurs ne nuiront pas à la maintenir en vie. Une culture populaire commune se bâtit — et se maintient — par accumulation. Qu’on lutte contre l’érosion de nos référents communs en favorisant l’interconnexion des disciplines tombe sous le sens. Plus notre musique s’invitera dans nos tripes, plus il y aura de chances qu’elle perdure. Il n’y a donc que des avantages à profiter du sésame des écrans — de loin le vecteur le plus populaire — pour la faire fleurir à son tour.
Mais soyons ambitieux. Ne nous contentons pas de promouvoir ce programme pour qu’il soit utilisé à son plein potentiel, élargissons-le. Le limiter aux séries affichant un potentiel d’exploitation à l’étranger relève de la courte vue. La relève, la marge et les indépendants ont aussi leur rôle à jouer. La transmission culturelle n’a jamais été aussi éclatée, spécialement chez les jeunes, qui se dessinent une culture sur mesure, en solitaire, famille et amis ayant perdu de leur influence au profit des réseaux sociaux et des algorithmes.
Le facteur numérique est crucial dans cette transformation. La migration culturelle en ligne est très avancée chez les 15 à 34 ans. L’Observatoire de la culture montre des taux quasi généralisés pour ce qui a trait de la musique en ligne (93 %), du partage de vidéos sur des sites comme YouTube et Vimeo (91 %) et de l’écoute en continu sur des plateformes comme Netflix ou CraveTV (87 %). Les 15-34 ans sont aussi beaucoup plus friands de balados et de jeux vidéo que le reste de la population.
C’est là aussi qu’il faut que notre musique résonne.