Jeunes et vapotage, la fin de l’insouciance
Il y a dix ans, le vapotage chez les jeunes du secondaire était marginal. Mais tandis que la consommation de tabac poursuivait sa chute grâce à l’effet conjugué d’un encadrement légal serré et de campagnes de sensibilisation ciblées, la cigarette électronique gagnait des adeptes chez les mineurs. En phase avec un marché parti au galop, sa progression a crû si rapidement qu’elle a pris de vitesse l’encadrement légal de ces produits, dont les atours et l’accessibilité nous ramènent en arrière en matière de santé publique.
La plus récente Enquête québécoise sur le tabac, l’alcool, la drogue et le jeu chez les élèves du secondaire, tous âges confondus, révèle que la proportion de jeunes ayant vapoté dans les 30 jours précédant l’enquête avait quintuplé en six ans, passant de 4 % en 2013 à 21 % en 2019. Parmi les « vieux » de 4e et 5e secondaire, un jeune sur trois admettait avoir vapoté pendant cette période, bien que la loi interdise la vente de ces produits aux mineurs. Ces chiffres alarmants ont continué de monter, selon ce que le collègue Marco Fortier a récemment pu documenter.
Le vapotage a souvent été promu comme un produit de cessation tabagique, mais les données probantes défendant cet usage sont limitées. D’abord parce que les cas de maladies pulmonaires associées au vapotage (MPAV) commencent à se multiplier. Ensuite parce qu’il est devenu clair que, tout comme la cigarette traditionnelle, les produits de vapotage (PV) prennent rapidement le statut d’accessoire de socialisation, y compris chez les non-fumeurs. C’est là une pente glissante, la nicotine présente dans la plupart des PV pouvant engendrer, elle aussi, une dépendance.
Dynamique et peu encadrée, l’industrie des PV mise sur des saveurs attirantes et des habillages attrayants, qui renforcent son association avec le plaisir à faible risque. Ce positionnement, elle le défend âprement devant Santé Canada, qui a littéralement été inondé de commentaires — 25 000 ! — pour son projet de règlement visant à limiter les arômes dans les PV.
Elle bénéficie au surplus de ventes facilitées par le marché en ligne et l’insouciance des établissements spécialisés et des dépanneurs, qui mettent régulièrement des PV dans les mains des mineurs sans vérifier leur âge. En plus d’offrir des cartouches dont la teneur en nicotine dépasse jusqu’à deux fois et demie la limite légale de 20 mg/ml.
Sans parler de la popularité croissante de la wax pen chez ces mêmes jeunes. Illégale au Québec, mais permise chez le voisin ontarien, cette drogue permet l’inhalation d’un dérivé du cannabis à concentration stratosphérique (parfois jusqu’à 99 % de THC) à des années-lumière des 30 % permis ici. Comme elle mime la vapoteuse, la wax passe aisément sous le radar de ceux qui veillent sur nos jeunes.
Tout cela concourt à donner aux PV une aura inoffensive. Et c’est là que le bât blesse. Si le vapotage a pu gagner autant de jeunes adeptes en un laps de temps aussi court, c’est qu’il a bénéficié d’un laxisme difficile à comprendre après l’âpre guerre menée contre la cigarette auprès de cette clientèle vulnérable. Il n’y a aucune raison valable de reporter cette nouvelle bataille ; on connaît sa nature, mieux, on connaît les armes et les techniques qui fonctionnent contre un ennemi comme celui-là.
Et ça presse. Dans un rapport datant d’août 2020, le directeur national de santé publique dénonçait déjà « une épidémie de vapotage chez les jeunes ». Concluant à « un grave problème de santé publique » requérant « une prise de mesures imminente de la part des autorités », il avait alors fait sept recommandations. Québec s’est engagé en décembre dernier à suivre l’une d’elles en instaurant une taxe sur les liquides de vapotage, comme l’a fait Ottawa déjà.
Et pour le reste ? Québec fait du surplace. On comprend que la pandémie a pu ralentir l’action gouvernementale, mais pas que le ministère n’ait toujours pas arrêté d’échéancier pour limiter la vente de tels produits au public. Pressé de questions dans la foulée de notre dossier, le ministre de la Santé, Christian Dubé, a convenu la semaine dernière que la situation présente était « inadmissible ». Il a promis que son gouvernement allait exiger des distributeurs qu’ils respectent la loi.
Mais encore faudrait-il qu’il puisse compter sur un portrait réaliste de la situation. Adepte des données, Québec ignore le nombre de distributeurs de produits du tabac et de vapotage, leur identité comme le lieu où ils se trouvent. Limiter l’accès physique et augmenter les prix sont pourtant les clés de voûte des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, qui prône également l’interdiction d’aromatisation des PV afin de dissuader les jeunes d’en faire usage.
Il est plus que temps de donner un coup d’accélérateur à ce dossier, dont l’évolution rapide a permis à l’industrie de placer tous ses pions tandis que nos gouvernements regardaient ailleurs. Mis en échec, Ottawa comme Québec ont l’avantage de disposer d’un éventail impressionnant de tactiques pour mettre au pas une industrie qui a trop profité de sa nonchalance. Qu’ils sortent l’artillerie lourde.