Montréal doit agir pour loger les itinérants
En annonçant la fermeture définitive de son commerce centenaire de la rue Sainte-Catherine Est, le Groupe Archambault a rivé les yeux du Québec sur une crise sociale que les résidents et habitués de l’est du centre-ville de Montréal ne connaissent que trop bien. Il n’y a rien d’étonnant à ce que l’entreprise invoque la « détérioration des perspectives commerciales » dans le secteur de la place Émilie-Gamelin pour expliquer l’arrêt prochain des activités de l’Archambault Berri en juin. Le commerce a pignon sur rue dans ce secteur depuis 1896, mais il ne fait plus bon y vivre, ni y commercer.
Les artisans du Devoir peuvent parler en connaissance de cause. Les locaux de notre média sont situés au-dessus dudit Archambault, rue Berri, au coin de Sainte-Catherine. Nous avons assisté, surpris, inquiets, préoccupés mais aussi craintifs, à la dégradation radicale de notre quartier au cours des dernières années. Oui, le tissu social urbain s’y est détérioré, au point où cet espace jadis névralgique de la vie du centre-ville montréalais n’est plus fréquentable, qu’il fasse nuit ou jour d’ailleurs. Les personnes en situation d’itinérance et de détresse extrême y déambulent, sans accès à l’essentiel : un logis, des ressources de base et du soutien psychosocial.
Dans cette zone où se mélangent sans beauté les chantiers de construction et les lieux désaffectés, on ne compte plus les commerces qui ont cessé leurs activités. Chaque devanture abandonnée se transforme tristement en zone de vie pour un ou une sans-abri. Les scènes de désolation quotidiennes permettent de conclure à d’importants problèmes de consommation, de santé mentale et de violence, le tout combiné parfois en un mélange explosif. Les abords de certains édicules de métro sont devenus des zones de consommation de drogue à ciel ouvert, sans surveillance adéquate des corps de sécurité.
Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer qu’on assiste ainsi à cette crise, sur fond d’absence de prise en charge adéquate. La mise en valeur de certains lieux, comme le Quartier des spectacles et le square Viger, où déambulait une partie de la population itinérante, a refoulé ces gens vers la place Émilie-Gamelin. La décroissance éhontée des maisons de chambres privées, véritable poumon pour des personnes sans recours qui ont besoin d’un toit, a accéléré la mise à la rue des plus vulnérables. La pandémie a précipité considérablement cette déchéance, bien que le déclin ne lui soit pas entièrement imputable. Faisant face à des problèmes financiers ou de santé mentale, des gens se sont retrouvés à la rue. La population itinérante ne cesse d’augmenter à Montréal, et la crise du logement n’est pas étrangère, entre autres, à ce problème.
Tous les plans d’action visant à trouver des solutions au problème criant de l’itinérance ciblent invariablement les ingrédients pour la recette, sinon parfaite, du moins potable, de la prévention, de la concertation communautaire, des actions politiques évitant la judiciarisation et ciblant plutôt le soutien psychosocial, des ressources dans la rue pour répondre à des problèmes de consommation sévère — des lieux sécuritaires pour l’injection supervisée ou encore des zones de dégrisement ou de désintoxication —, mais tous pointent d’abord et avant tout le logement. C’est là que nos besoins — et nos manques — sont les plus importants.
En entrevue cette semaine à l’émission radiophonique Tout un matin, à Radio-Canada, l’abbé Claude Paradis, fondateur de l’organisme Notre-Dame-de-la-Rue, qui vient en aide aux personnes itinérantes, relatait cet échange déchirant qu’il avait eu avec un homme vivant dans la rue depuis plusieurs années : « Il m’a dit : “Le seul toit que j’aurai, ce sera le couvercle de ma tombe.” » Voilà des années que la fermeture de plusieurs maisons de chambres privées prive d’une demeure essentielle des personnes condamnées à la rue, faute de mieux. Dans des immeubles abritant des chambres et des espaces communs loués à prix modique, des gens pourraient faire le premier pas vers une vie digne : un logis. Hélas, le parc immobilier vieillissant et difficile à entretenir de Montréal a entraîné des fermetures et l’éviction de plusieurs chambreurs. Des cas comme celui évoqué cette semaine par Le Journal de Montréal, de la Maison Paul-Grégoire, abandonnée depuis trois ans malgré sa vocation acceptée par les autorités de maison pour personnes sans-abri, sont aberrants. Le dossier semble coincé dans un chaos administratif malgré la concertation des autorités impliquées.
La vague de froid qui s’abat sur le Québec a réveillé les ardeurs de la Ville de Montréal, qui a trouvé d’urgence des lieux pour accueillir les sans-abri. Ces soubresauts de réactivité ne viennent que confirmer l’échec de nos politiques sociales en matière de logement et d’itinérance. Nul besoin d’une chute abrupte de quelques dizaines de degrés Celsius pour conclure à l’urgence dans l’est du centre-ville de Montréal, car c’est à une véritable crise humanitaire qu’on assiste, impuissants, tous les jours. Des actions rapides visant à augmenter les logements et à ajouter des ressources en soutien psychosocial et en accompagnement des personnes toxicomanes doivent être entreprises. Comme s’il faisait -40 °C tous les jours.